Jouer la surexpansion et le déséquilibrage de l’OTAN

Jean-François Geneste s’interroge sur le potentiel pendant de la doctrine élaborée par la Rand Corporation et dont le sujet était « Overextending and Unbalancing Russia »[1]. Pourquoi ? Simplement parce que la célèbre phrase de l’évangile « au lieu de regarder la paille qui est dans mon œil, tu ferais mieux de regarder la poutre qui est dans le tien »[2] est assez universelle. En effet, si la Russie est un immense pays avec de très longues frontières et ainsi très difficile à défendre, l’OTAN, elle aussi, couvre un territoire considérable. L’idée fondamentale de jouer sur l’incapacité à protéger un espace gigantesque a donc son symétrique vu depuis la Russie ou la Chine. Nous allons  tenter d’imaginer dans cet article ce que pourraient faire ces deux pays de concert, puisqu’ils sont objectivement assiégés comme le montre la figure ci-après.

Débutons par le conflit ukrainien. Initialement, la guerre aurait dû durer environ un mois et l’Ukraine avait commencé à négocier, mais très vite les Occidentaux l’en ont dissuadée, entrant dans une course à l’armement et à l’escalade particulièrement dangereuse. Comme expliqué dans certains de mes textes précédents, l’Ouest est une force essentiellement de projection de police internationale néocolonialiste visant des pays faibles. Là, ce n’est pas le cas, et la Russie est une puissance  de défense terrestre, ce que n’est pas l’OTAN, avec un conflit qui se passe à sa frontière, et son armée a, de plus, élaboré une vraie stratégie de protection du territoire et non une projection chez des vassaux, qui interdit à l’aviation adverse de pénétrer. Ayant dit cela, le sort de l’Ukraine en tant que telle est scellé. Mais il faut regarder un peu plus dans le détail ce que tout cela signifie.

Tout d’abord, tant qu’il était encore temps de discuter, le pays aurait toujours pu exister. Il aurait été neutre, bien sûr, pas militarisé, mais probablement libre et même autorisé à adhérer à l’Union européenne. Compte tenu des agissements de cette dernière, il est fort peu vraisemblable que le conflit ne s’arrête avant une capitulation sans condition de Kiev, qu’une partie croupion restera dénommée Ukraine, mais qu’elle sera une zone de surveillance rapprochée et massive de la part du gagnant, sans rattachement possible à Bruxelles. Les moyens électroniques permettront le contrôle. La dette de l’ancien pays demeurera néanmoins sur les épaules de cette entité, et restera in fine à la charge des Européens. On a entendu dire que les deux tiers des terres à blé ukrainiennes appartenaient à des intérêts américains. La spoliation actuelle des avoirs russes aura très probablement pour contrepartie leur confiscation, ce qui serait logique. Par ailleurs, l’escalade militaire et la défaite inéluctable vont montrer au grand jour la faiblesse technique des équipements occidentaux, leur incapacité à soutenir un feu continu, leur coût exorbitant, leur fabrication en trop petite série, etc. L’industrie de l’armement de cette zone va donc être en crise profonde pour ses exportations, car qui voudra de matériels chers et inefficaces ?

Si nous résumons, l’OTAN, en enflant dans cette région, aura détruit sa réputation , accumulé une dette considérable et perdu sa crédibilité quant à son positionnement historique de la garantie de la propriété privée. Sa posture d’équilibre dans le monde est dès lors compromise.

Mais sortons de ce conflit pour parler de guerre plus globale. Et passons à l’Afrique. L’idée de la Rand Corporation était d’obliger la Russie à faire feu de tout bois sur un territoire gigantesque. La Russie, elle, a décidé de viser en priorité le pré carré africain français pour le déstabiliser avec son groupe Wagner. Pourquoi ? Une possibilité d’explication est la suivante. La France a été, depuis des décennies maintenant, gouvernée par des gens corrompus et à la solde des États-Unis. Cela en a fait un pays vassal, insignifiant et dépendant. Les personnes au pouvoir, par idéologie et inintelligence, y ont détruit le système éducatif, interdisant à la nation tout retour au statut de grande puissance pour des dizaines d’années sinon plus. En l’attaquant en Afrique et en la sortant du continent, ce qui est en cours (Centrafrique, Mali, Burkina Faso, etc.), on va rejouer, en quelque sorte, l’épisode du Vietnam en amenant les États-Unis sinon l’OTAN à intervenir, pour se garantir l’accès à des ressources minières stratégiques. Mais, là, les territoires sont d’une taille assez extraordinaire comme le montre la carte ci-dessous.

Approximativement, la taille de la zone sous influence française est deux fois celle des États-Unis. Si ces derniers et même l’OTAN veulent s’atteler à cela, il est clair que la surexpansion est intenable, et cela bien plus que pour une Russie assiégée. Mais ce n’est pas tout puisque la Chine, elle aussi, exécute sa partition qui est économique. C’est donc tout le continent qui est en jeu et constitue une surcharge majeure et insoutenable.

Avant de quitter cette zone, constatons que Wagner se fait payer en or, dans un mouvement initié depuis quelques années maintenant, de contester le dollar pour le remplacer par une contrepartie physique, référence qui fut abandonnée sous Richard Nixon pour la monnaie américaine en 1971. La Russie et la Chine ont commencé à favoriser les échanges de devises entre différents pays de leur proximité, l’Arabie saoudite a récemment annoncé qu’elle accepterait des yuans en recouvrement de son pétrole, le Brésil et l’Argentine veulent créer entre elles une zone économique indépendante du dollar, bref, le système financier mondial unipolaire est en train de couler. Le dollar s’est  surépandu à un point tel que l’extraterritorialité des lois américaines a montré l’impérieuse nécessité de passer à autre chose. Nous voyons actuellement, en direct, un effondrement dû, objectivement, à cet éploiement. Et cela va avoir des conséquences catastrophiques pour l’État qui vit maintenant aux crochets de la planète depuis des décennies ainsi que pour ses vassaux. Cela est aggravé par le fait que, comme les Espagnols et les Portugais de la Renaissance, l’Occident a confondu argent et richesse. Il s’est dépouillé, depuis 1971, de ses actifs industriels pour les remplacer par un système basé sur les services aux compétences douteuses et découplé des réalités qui nous entourent. Pour ceux qui auraient des suspicions, jetez seulement un œil aux voitures électriques, aux éoliennes et panneaux solaires, aux avions à hydrogène, au réchauffement climatique et autres débilités que nous livre la société « woke » quotidiennement. À l’inverse, le monde hors OTAN est bâti sur la richesse physique de par les ressources naturelles qu’il possède et sa capacité manufacturière. Le fait de surjouer la finance a donc eu comme conséquence une terrible contraction industrielle et même, très probablement, agricole ; en bref, la ruine ! Pour pallier cela, l’Occident va devoir tenter de s’étendre et avoir accès à des ressources et faire tonner, encore une fois, les canons de l’OTAN, fomentant de-ci de-là un coup d’État, une révolution, un assassinat, etc.

Mais comme le système est basé sur la corruption, l’effondrement économique va relâcher la pression sur les vassaux, lesquels, bientôt, auront des velléités centrifuges.

Effectuons un  rapide  parallèle avec la discipline connue sous le nom de résistance des matériaux. Rassurez-vous, il n’y aura pas d’équation ! Mais qu’y apprend-on ? Que si vous faites un assemblage mécanique, vous devrez vous abstenir au maximum d’utiliser des liaisons par trop rigides. Il vaut mieux que tout soit souple et flexible avec du jeu, dans une certaine mesure. Bien entendu, votre « guimbarde » va alors vibrer, faire du bruit, vous donnera une impression parfois désagréable, mais elle marchera et sera fiable. Au contraire, si vous raidissez, il y aura de la casse, c’est inéluctable. Or, nous voyons bien les systèmes UE et OTAN qui sont l’avers et le revers d’une même pièce de l’Empire. Les structures y sont figées, les acteurs sont dépendants et sans autonomie. À l’inverse, les BRICS qui sont en train de s’agglomérer ont choisi une organisation beaucoup plus souple qui, à terme, et c’est sûr, sera beaucoup plus performante. Pourquoi est-ce une bonne stratégie ? Simplement parce que le leitmotiv sous-jacent est la multipolarité, un jeu de protagonistes souverains, libres. Face à cela, le système adverse, via sa surexpansion, à chaque cran, car c’est dans ses gènes, est obligé de renforcer le pouvoir central ; une dérive que l’on voit depuis au moins le début des années 70. Or l’extension d’une structure rigide, nous l’avons examiné, conduit irrémédiablement à la casse.

Nous terminerons ce tour non exhaustif par le déséquilibrage de l’OTAN dont une partie se fait toute seule en réalité. L’événement phare est la destruction des gazoducs Nord Stream par l’OTAN, au détriment d’un pilier de ses membres, sans concertation et dans le secret, qui plus est sous les applaudissements des autres vassaux. C’est cela la rigidité dont il était question plus haut ! Le système est mené d’une main de fer au profit de l’unique souverain qui a un comportement mafieux ! Par ailleurs, la Pologne et les Pays baltes étant viscéralement antirusses, ils sont encouragés par l’Oncle Sam aux dépens des alliés historiques et imposent un climat belliqueux pour ces derniers dont les populations pensent en grande majorité que les générations précédentes ont assez payé les conséquences des guerres sur leur territoire. Et rappelons-nous que la Pologne a été le déclencheur de la Deuxième Guerre mondiale ! On joue donc là avec le feu ! Cela participe aussi au déséquilibre interne de l’organisation avec des divergences qui ne feront qu’augmenter.

Mais la Russie pousse également à l’instabilité. Ses missiles hypersoniques sont un atout inaccessible actuellement pour l’OTAN. Et même s’ils sont les derniers avatars de la science soviétique, la structure militaro-industrielle occidentale n’a pas les moyens intellectuels de suivre à court ni moyen termes. C’est le résultat du pourrissement du système éducatif qui s’est transformé de sacerdoce et vocation en machine à fric au niveau supérieur et garderie propagandiste à l’échelon inférieur qui distribue des diplômes qui ne valent rien en réalité. J’exagère ? Faites faire une dictée de certificat d’études à un docteur quel qu’il soit et comptez les fautes ! Faites faire une rédaction de certificat d’études à un docteur et notez-y l’originalité en interdisant ChapGPT bien sûr ! Cela est valable, peu ou prou, chez tous les membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ! Pour compenser, comme toujours, le remède proposé sera le même : on va augmenter les budgets ! La France, jamais en reste dans les idioties, a déjà prévu de passer le sien de 295 milliards à 413 milliards d’ici 2030. Mais au fait, pour quoi faire ? Y a-t-il un plan ? Et s’il y a plan, de quelles leçons tirées vient-il ? Bien entendu, tous les pays de l’OTAN vont être concernés. On sabrera le champagne, on organisera quelques boucheries par-ci, par-là comme en Ukraine et on chantera dans des soirées douteuses « we are the champions », alors qu’en réalité, faisant référence à Brassens, « il y a peu de chances qu’on détrône le roi des… ».

Nous voilà arrivés à notre conclusion, qui sera une invitation du lecteur à réfléchir à ce sujet de créer, par la Russie, la Chine et d’autres, une surexpansion et un déséquilibrage de l’OTAN. Tirez la ficelle, elle est longue ! C’est pour cela que la tâche sera facile. Nous sommes simplement et hélas, du mauvais côté.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.


[1] Nous avons légèrement altéré le mot anglais « extension » en expansion, mais parfois, dans ce texte, nous parlerons aussi d’extension au sens français.

[2] Mathieu 7:3