LA POLOGNE AMBITIONNE DE DEVENIR LE PARTENAIRE LE PLUS FIABLE DE WASHINGTON EN EUROPE

La crise ukrainienne continue de rebattre les cartes de la géopolitique mondiale et Arnaud Develay revient pour Russie Politics sur le rôle que la Pologne prétend y jouer, avec l’appui des USA.

Non content de révéler au monde entier la décadence morale totale d’une classe politique européenne incapable de tenir tête aux États-Unis et ainsi préserver les intérêts de ses propres populations, c’est maintenant l’unité même de l’UE, qui menace de s’effriter. Ironiquement, les récentes révélations publiées par le célèbre journaliste d’investigation américain Seymour HERSH, portant sur l’identité des auteurs des explosions de Northstream 2, semblent jouer le rôle d’accélérateur dans l’élargissement des fissures au sein de la coalition de plus en plus fragile de BRUXELLES. (1)

Tout a commencé en septembre de l’année dernière, lorsque la principale bouée de sauvetage énergétique des perspectives économiques chancelantes de l’Europe a été la cible d’une série d’explosions que tout le monde attribuait à (vous l’avez deviné) à la Russie.

À peu près à la même période, le gouvernement polonais (nationaliste) de Mateusz Morawiecki décida par l’intermédiaire de son ministère des Affaires étrangères d’envoyer au gouvernement allemand une note diplomatique concernant une nouvelle demande de compensations pour l’occupation du pays par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. (2)

La note comportait essentiellement trois parties distinctes : (3)

1. La Pologne exige qu’elle reçoive la somme de 1,3 billion d’euros en compensation de la perte estimée de salaires productifs occasionnée par les disparitions de ses citoyens à la suite de l’occupation et du pillage du pays par l’Allemagne nazie.

2. La Pologne demande à l’Allemagne de rapatrier des objets culturels

3. La Pologne exige que les Polonais de souche vivant en Allemagne obtiennent le statut de « minorité nationale »

La note fût remise aux autorités de BERLIN le 3 octobre 2022 ; quelques jours à peine après l’explosion de l’oléoduc Norstream 2 le 26 septembre.

Il est difficile de ne pas voir une corrélation entre les deux événements et cela d’autant plus que VARSOVIE n’aurait pas pu choisir pire moment suite à la réduction en cendres du projet récemment achevé de l’Allemagne et de la RUSSIE et sonnant ainsi essentiellement le glas de l’indépendance énergétique (et donc économique) de l’Europe.

Comme pour illustrer les conséquences désastreuses de ce qui est de plus en plus présenté comme un acte de terrorisme international commis à l’encontre de ses propres infrastructures (GAZPROM est techniquement propriétaire du gazoduc), la Fédération de Russie a convoqué une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU afin de traiter de cette question.

Il aura necessité quant à l’Allemagne pas moins de trois mois pour délivrer une fin de non-recevoir à la Pologne dans une note officielle délivrée le 3 janvier 2023.

Son contenu n’a pas été rendu public mais a été évoqué par le ministre des Affaires européennes du pays, Szymon Szynkowski vel Sęk à la radio polonaise comme suit:

« La position du gouvernement allemand est connue depuis longtemps, mais ce n’est certainement pas la fin de l’affaire (…) Notre position sur cette question est complètement différente. Ce n’est certainement pas la fin, ce n’est que le début de cette affaire. Aujourd’hui, la demande du chef adjoint du ministère des Affaires étrangères Arkadiusz Mularczyk à l’ONU est adressée pour aborder également ce sujet, les réparations justes; Des actions sont menées en relation avec les forums d’autres organisations internationales. » (Ibid.)

Le même jour, Varsovie a annoncé par la voix de son vice-ministre des Affaires étrangères, Arkadiusz MULARSCZYK, que la réponse de l’Allemagne témoignait d’une « attitude irrespectueuse » et il a été déploré le deux poids deux mesures adopté par BERLIN en évoquant les compensations de l’Allemagne envers des pays africains comme la Namibie.

A BERLIN, la ministre des Affaires étrangères de l’époque, Annabella BEARBOCK, a commenté les demandes de la Pologne comme suit : « L’affaire est close ».

Cela a incité VARSOVIE à promettre de porter la question devant des « forums internationaux ».

Lors d’un voyage récemment achevé aux États-Unis, Arkadiusz MULARSCZYK a rencontré des représentants du Congrès américain des deux partis politiques avant de déclarer:

« De nombreux membres du Congrès ont été surpris que l’Allemagne n’ait jamais payé de réparations de guerre. De plus, ils ont été surpris que les Allemands aient autant volé la Pologne et n’avaient aucune intention de la rendre. Surtout ici aux États-Unis, où les droits de propriété sont si forts et forts, de nombreux membres du Congrès ont été choqués que l’Allemagne ait volé la Pologne, volé des œuvres d’art, des ressources bancaires, et à ce jour n’en a pas rendu compte. C’était un choc cognitif pour eux, donc je pense qu’il y a de la place pour la coopération, parce que le comportement de l’Allemagne n’est pas conforme aux normes de l’État de droit, de la protection des droits de l’homme, du respect du droit international dans le monde. J’espère que ce dossier fera pas à pas, semaine après semaine, mois après mois, le sujet de l’intérêt et de la coopération, mais bien sûr cela prend du temps (4)

UNE SAISON ELECTORALE QUI S’ANNONCE DELICATE

La récente séquence qui a vu l’Allemagne traîner quelque peu les pieds en s’engageant à augmenter l’aide militaire à l’Ukraine n’a de toute évidence pas plu à Washington.

Y voyant une ouverture, la Pologne vise à prendre les devants pour devenir le partenaire le plus fiable de Washington face à la Russie.

Les prochaines élections législatives en Pologne dictent au parti au pouvoir nationaliste en place d’adopter une approche quelque peu conflictuelle avec BERLIN afin de détourner l’attention du public de l’accumulation des problèmes sociaux.

Depuis le début de l’opération militaire spéciale russe, la Pologne a dû en effet absorber des millions de réfugiés ukrainiens.

Cela a conduit à infliger une pression importante sur le système de protection sociale du pays. (5)

Une fatigue ukrainienne menace maintenant d’engloutir la population et la classe politique sortante est actuellement confrontée à la perspective d’un retour de bâton dans les urnes.

L’ouverture d’un différend avec l’Allemagne est l’antitode parfait pour détourner l’attention sur ces problèmes structurels et Varsovie espère imiter l’Ukraine et récolter des bénéfices concrets d’une offensive de charme tous azimuts auprès de Washington et ce même si les exigences communiquées à BERLIN n’ont aucune chance de prospérer d’un point de vue juridique.

OFFENSIVE DE SEDUCTION A L’ENCONTRE DES AMERICAINS

Si cette manoeuvre politico-juridique n’est pas sérieuse en soi, il convient alors de se demander ce qu’elle traduit en terme de profonds bouleversements géopolitique sur le continent européen.

Il y a de cela 20 ans, l’ancien Secrétaire à le Défense, Donald RUMSFELD avait popularisé l’expression dite de “Nouvelle Europe”. (6)

Les Néo-conservateurs de l’époque avait identifié dans certains pays de l’ex-bloc soviétique (dont la Pologne), une propension à concevoir une politique étrangère fondée sur un suivisme aveugle des promesses aléricaines.

Depuis plusieurs années, la Pologne utilise sa part des fonds européens pour se fournir en F-35 américains en faisant fi des admonitions en provenance de PARIS et BERLIN portant sur l’importance d’acheter européen en matière d’armement.(7)

VARSOVIE ne s’en laisse pas compter pour autant et a dores et déjà annoncé que la Pologne ambitionne de devenir une (si ce n’est la) puissance militaire d’envergure sur le continent européen. (8)

Enfin, il convient de metter en perspective l’élément le plus pertinent (et le plus dissimulé) dans ce jeu de dupes: la Pologne est propriétaire d’un des sites utilisé dans la conversion du Gaz Naturel Liquéfié Américain dont dépend l’Allemagne pour ses approvisionnements. (9)

En ajoutant toutes les pièces du puzzle, il apparait alors un paysage géopolitique européen profondément different de celui encore en existence avant le 24 février 2022.

La Pologne deviendrait le principal centre de transit (et donc de distribution) de gaz naturel liquéfié US en Europe.

Ce gain stratégique obligerait alors la Pologne à considérablement augmenter son potentiel militaire dans une optique visant à prévenir toute tentative de déstabilisation russe.

Le parti nationaliste au pouvoir serait alors positionné idéalement afin mettre en place le projet de l’espace intermarium. (10)

Gageons que le visite de Joseph BIDEN prévue cette semaine à Varsovie agira comme un blanc-seing aux ambitions polonaises. (11)

1. How America Took Out The Nord Stream Pipeline (substack.com)

2. Poland seeks $1.3 trillion from Germany in reparations for World War II (nbcnews.com)

3. Surprise! Germany refuses to pay reparations, PiS goes to the UN and threatens… America — OKO.press

4. Vice min. A. Mularczyk visits the USA; talked with congressmen and a representative of the State Department about reparations from Germany – RadioMaryja.pl

5. Polish cities feel the strain of helping Ukrainian refugees – POLITICO

6. U.S.: Rumsfeld’s ‘Old’ And ‘New’ Europe Touches On Uneasy Divide (rferl.org)

7. Poland inks $4.6 billion contract for F-35 fighter jets (defensenews.com)

8. Gung-ho Poland is becoming a military leader in Europe | World | The Times

9. Poland signs deals to expand its LNG terminal | Reuters

10. Poland’s role in the Intermarium idea (blue-europe.eu)

11. Biden to discuss more troops in upcoming visit, Polish PM says | Reuters

Arnaud DEVELAY est avocat spécialisé en droit international humanitaire et pénal.