Le moral des troupes

Jean-François Geneste s’interroge pour Russie Politics sur qu’il reste, à l’heure de la globalisation triomphante, du lien entre le citoyen et la Nation dans nos bons vieux pays d’Europe. Si les médias ont fait leurs choux gras du départ précipité d’une partie de la gente masculine russe à l’annonce de la mobilisation partielle, combien s’engagerait en France, si la Patrie était réellement en danger ?

La grande presse ne s’est pas privée de relater les 700 000 Russes voire peut-être plus qui auraient essayé de se soustraire à la mobilisation partielle qui a été décidée dans le cadre de l’opération militaire spéciale. La question que nous posons aujourd’hui est symétrique : que donnerait une décision identique en France sachant que des bruits courent que la Pologne, elle-même au bord de l’appel obligatoire, pourrait vivre une véritable hémorragie de jeunes gens la fuyant ?

La réalité est très simple et très logique. Si La France décidait de mobiliser, ce serait un fiasco ! Voyons pourquoi.

Tout d’abord, nous avons eu une classe dirigeante qui n’a eu de cesse de combattre les partis politiques dits nationalistes. Ils ont été montrés du doigt, traités de nazis et le sont encore, présentés comme dangereux, racistes, xénophobes, etc. La jeunesse, donc, instrumentalisée par un système éducatif digne des pires régimes, est donc anti-France, quand encore elle en connaît les contours géographiques, ce qui est de plus en plus rare. Qui, dans ces conditions, se sentirait de défendre une quelconque nation ? Qui accepterait d’aller se faire trouer la peau pour une abstraction qui ne fait même pas partie de l’enseignement de base ?

Nous avons eu ensuite l’européanisation à l’œuvre. Je me souviens d’un PDG qui, avant d’être à la tête d’un grand groupe, présidait une société de missiles et qui avait écrit lors d’une fusion que, désormais, les discours nationalistes seraient réprimés sévèrement en interne. Cette personne, pour qui ce poste n’était qu’un marchepied, alla plus tard pantoufler en tant que directeur dans une firme créée par le FBI et la CIA, sans que personne ne trouvât rien à y redire.

Les grands groupes initialement européens se prétendirent bien rapidement et avant tout  globaux et certains présidents publièrent même  que puisque les ventes étaient dorénavant supérieures hors Europe, il fallait se hâter de faire rentrer dans les conseils de surveillance de ces sociétés stratégiques des non-Européens. Ce qui fut fait. Quelle confiance dès lors avoir dans une entreprise de souveraineté ou de défense qui va armer nos troupes en cas de conflit ? Pourquoi répondre à une mobilisation quand on n’est pas sûr que son équipement ne sera pas saboté ?

Les politiciens aussi furent les promoteurs du mondialisme. Ils n’hésitèrent pas à encourager nos compagnies industrielles à se délocaliser dans des régions à bas coût, nous mettant de la sorte en compétition, à l’époque, avec des gens payés un bol de riz par jour et acceptant des conditions de travail proche de l’esclavage. Ils favorisèrent l’essor du commerce international en abaissant les droits de douane pour que ces produits vinssent sur nos étals quelques pour cent moins chers tout en permettant aux importateurs des marges indécentes pendant qu’ils créaient des armées de chômeurs. Ainsi, en 2005, alors que je faisais un voyage d’études, l’ambassadeur de Chine en France qui nous avait reçus en son pays, s’était-il interrogé sur ces circuits, remarquant, en ce temps, que dans un jeu de Lego à 27 euros à Paris, seuls 3 euros revenaient à la Chine. Dans ces conditions, les intermédiaires engrangeaient 24 euros et créaient, en parallèle, combien de chômeurs ?

Cette organisation mondiale dépouilla les États occidentaux de leur compétence industrielle. L’activité manufacturière déclinant, le besoin en scientifiques diminua et la couche dirigeante de la société, bien plus encline aux disciplines littéraires, en profita pour demander la fin de l’hégémonie des mathématiques, voyant là une opportunité historique de reproduction sociale. Ce qui fut accompli. Alors que j’ai enseigné la théorie des probabilités à l’ISAE Sup’Aéro de 1990 à 2016 inclus, j’ai commencé mon dernier cours en disant à mes élèves que quand j’étais entré dans cette école 33 ans plus tôt, j’avais eu, dans mon cursus, 1000 heures de mathématiques et 700 heures de physique de plus qu’eux avant de l’intégrer et que cela ne se rattrape pas. Depuis, la situation a encore empiré, bien entendu. Or, entre temps, la compétition internationale s’est exacerbée, mettant nos jeunes en position d’extrême faiblesse par rapport à l’Orient notamment. Aussi, s’il y avait une mobilisation, irait-on se faire trouer la peau pour un pays qui nous a placés en rivalité déloyale et dont les gouvernants n’ont même pas imaginé de nous prodiguer une instruction de niveau mondial décent ? Irions-nous risquer notre peau pour une classe dirigeante corrompue qui a déjà dévasté notre zone économiquement ?

En France, le temps de de Gaulle, nous avons obtenu un État indépendant avec un comportement de grande puissance qui a eu une politique de paix équilibrée en respectant les peuples et leurs choix. Nous fûmes, plus tard, trahis largement par ses successeurs, Sarkozy étant le premier à franchir le Rubicon, même si Chirac avait préparé le terrain. Ces gens nous ont vassalisés à un point tel qu’aujourd’hui nous frisons le statut de belligérants dans un conflit dans lequel nous n’avons d’autre intérêt que celui de notre maître et pour soi-disant défendre un des régimes les plus corrompus au monde. S’il y avait une mobilisation, irions-nous mourir pour les appétits d’une caste qui nous est étrangère totalement et dont les attentions ne sont, de surcroît, pas celles de son peuple ?

On nous vante la liberté, la démocratie et autres colifichets d’un  temps révolu. Mais qu’avons-nous vu ? Des Ausweis pendant la crise du Covid nous rappelant les « bonnes » heures de la France, des privations de liberté pour ceux qui refusaient de se faire injecter des produits qui sont encore, à la date d’écriture de ce texte (janvier 2023), expérimentaux, une censure phénoménale sur les réseaux sociaux, l’interdiction de certains journaux au prétexte qu’ils sont mal pensants alors qu’ils n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque condamnation par un tribunal. On nous a mis des caméras dans tous les lieux publics, des radars sur les routes, des organismes d’espionnage de nos courriels et des sites Internet que nous visitons. Nos enfants à l’école, s’ils résistent au discours ambiant, sont dénoncés par leurs « professeurs des écoles » qui sont tenus de le faire. En matière de politique, nous avons vécu, en 2022, un événement extraordinaire, puisque c’est monsieur Bayrou, officiellement membre du gouvernement, qui a décidé de qui pourrait se présenter contre le président sortant. Aussi, s’il y avait une mobilisation, goberions-nous l’argument de défense de la démocratie et des libertés ? Mourrions-nous pour ce régime ?

Entre-temps, nous avons eu une immigration massive. Que constatons-nous ? Des matchs de football dans lesquels des Français légaux supportent avant tout le pays d’origine de leurs parents ou grands-parents plutôt que la France. Qu’arriverait-il si, par exemple, le roi du Maroc, chef des croyants chez lui, commandait une révolution en France depuis l’extérieur au nom des intérêts supérieurs de sa nation ? Si on mobilisait, qui viendrait, dans une société dont 40 % de la population au moins ont une ascendance étrangère ? Et quand on sait que dans les banlieues on passe son temps à divers trafics et que l’on n’hésite pas à tirer au mortier sur la police, on est en droit d’avoir des doutes sur l’efficacité d’une potentielle mobilisation.

Nous en sommes donc là où le système de la mondialisation nous a amenés. Une zone géographique qui n’est plus une nation, un pays sans âme et peut-être le pire, des citoyens qui n’ont plus aucun intérêt dans cette affaire ; aucun attachement à défendre quoi que ce soit avec un lien social qui n’existe quasiment plus. C’est d’ailleurs tout juste si, entre les plus âgés et les plus jeunes, il se partage la même langue. Alors on peut se gausser des Russes. Si la France, l’Europe devaient mobiliser, il n’y aurait pratiquement personne. Et finalement, ce n’est pas si mal; c’est le miroir du degré de satisfaction de la politique menée depuis près de 50 ans maintenant. On a peut-être les politiciens que l’on mérite, mais ils auront aussi, en boomerang, les peuples qu’ils méritent.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.