Les Organisations Internationales et le crépuscule du globalisme
Les Organisations Internationales (OI), c’est une bureaucratie mondiale d’environ 250.000 agents — la moitié se partageant entre l’UE et l’ONU. Depuis la fin de la guerre froide, un système d’OI (tantôt concurrentes, tantôt complémentaires) forme le secrétariat informel de la mondialisation. Alors que la richesse se déterritorialise et que la pauvreté se « nationalise », elles se sont adaptées au point d’incarner l’idéologie mondialiste. A ce titre, elles font « système » avec des médias, dont les éditorialistes surpayés relaient les préoccupations des seules puissances d’argent.
Si l’on exclut (l’importante) parenthèse libérale des années 90, la Russie a, quant à elle, toujours eu un rapport contracyclique avec le capitalisme apatride : le pattern mondialiste a été grippé par un demi-siècle de guerre froide et l’opération spéciale lancée le 24 février 2022 a irrémédiablement fracturé la mondialisation. Les défenseurs les plus ardents du globalisme en sont désormais réduits à conceptualiser une étrange « mondialisation entre amis » (Janet Yelen) et il est probable que les dinosaures de Bretton Woods (Banque Mondiale et le FMI) ne survivront pas à la multipolarité.
Sergueï Vehme présente ici pour Russie Politics une tentative d’autopsie de cette parenthèse de trois décennies de globalisation chaotique, inaugurée par la dissolution de l’Union soviétique à la fin du siècle dernier.
Gouvernance mondiale : la confusion des genres
Le terme «gouvernance globale» est apparu pour la première fois lors de la préparation du Sommet de la Terre de 1992, également connu sous le nom de Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED), qui s’est tenue à Rio de Janeiro, au Brésil.
C’est alors l’inauguration de l’Agenda 21 sous les auspices de Maurice Strong, pape corrompu (scandale des contrats «Pétrole contre nourriture» avec Elf Aquitaine, scandale des contrats AZL Resources avec l’ONU) de l’élite mondialiste.
Complété par l’agenda 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable, il formera le socle des approches globales de la « durabilité »
Projet globaliste d’une ONU en quête de projets de salut universel, il s’appuie essentiellement sur les conclusions malthusiennes du rapport Meadows.
Depuis lors, la gouvernance globale s’est élargie à d’autres domaines tels que la sécurité, la santé, les droits de l’homme et l’économie mondiale.
Cette globalisation post guerre froide est marquée par le retour décomplexé des « rubber barons » en quête d’une prédation sans précédent des richesses mondiales.
Sans obstacle, une concentration inouïe du capital installe un capitalisme de connivence qui corrompt institutions publiques et privées.
Une nasse technocratique boostée par la généralisation des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) s’abat sur le monde.
Un monde auquel les Etats-Unis ne tardent pas à imposer leur modèle mimétique (René Girard)
Irruption d’une caste de managers globalisés et destruction des souverainetés étatiques sont au menu.
Une technostructure transnationale se fréquente, communique en globish et parcourt le monde de conférence en forum pour imposer un agenda « one world » aux peuples du monde. Les rôles sont répartis entre des organisations essentiellement « apostoliques » potentiellement coercitives (FMI et Banque Mondiale) et des organisations essentiellement « contemplatives » qui font de la « pédagogie » (OCDE, UNESCO,etc.).
Le système des revolving doors ne tardera pas à homogénéiser cette caste technocratique mettant à profit la très forte porosité entre les mondes du service de l’État (Department of State notamment), des OI, du secteur privé multinational, de la finance et des ONG (think tanks et autres lobbies) pour promouvoir ses intérêts de carrière en même temps que la globalisation. La globalisation sera la providence de cette technostructure fluide et hors sol.
Cas d’école, Mario Draghi passera sans complexe de la Vice-présidence pour l’Europe de Goldman Sachs au poste de gouverneur de la Banque d’Italie puis celui de président de la BCE avant d’être nommé Premier ministre d’un nième gouvernement « technique » italien.
Ce nouvel ordre qui ignore les frontières entre acteurs publics et privés poussera les OI à faire système avec une myriade d’acteurs non-étatiques (ONG, fondations, multinationales).
Sur le marché de l’expertise globale, les OI « contemplatives » se trouveront en concurrence avec des groupes privés ou paraétatiques puissants : (WEF – « Davos », agences privées de « développement économique et social » — McKinsey, Bain & Company, Boston Consulting Group, Aspen Institute etc.)
La confusion des genres est à son comble avec des groupes multinationaux qui :
— participent directement aux discussions et aux négociations des OI en tant que membres ou observateurs
— achètent les universités, financent des programmes de recherche, des conférences, des événements et des initiatives de développement
— mettent à disposition une expertise technique et financière aux OI, ce qui leur permet de participer à la formulation des politiques et des décisions
— achètent la presse, financent des campagnes de relations publiques et des événements pour renforcer leur image et leur influence ; ils définissent donc un agenda qu’il est impossible d’ignorer
— financent des ONG (« société civile ») qui participent en tant que telles aux discussions dans les enceintes internationales
La communication en guise de légitimité
Le dévoiement des OI, organisations interétatiques, en organisations globalisées n’aurait pas été possible sans une métamorphose interne.
Au milieu des années 90, les gourous internationaux du management se sont succèdés dans les directions des OI pour homogénéiser les gouvernances internes et mettre les équipes au diapason des bonnes pratiques des organisations – publiques ou privées — de la globalisation marchande.
Le team building — outil de conduite du changement organisationnel issu du monde des multinationales US — fût imposé par les directions des ressources humaines.
Les systèmes de contrôle et le culte bureaucratique de la procédure se sont intensifiés. Certaines OI ont découvert qu’elles étaient devenues des annexes de la bureaucratie américaine en faisant l’expérience de ses tares congénitales : prolifération procédurale, hiérarchie infantilisante et hyperspécialisation des tâches, contrôle politique.
Les OI ont alors pour fonction essentielle d’« acculturer » les États qui doivent faire place nette au nom d’enjeux multilatéraux forcément sublimes : développement mondial, migrations, climat, pandémies etc. Prétendre relever ces grands défis mondiaux avec une très faible légitimité démocratique n’est guère aisé.
Avec l’irruption forcée de la société civile et de la moraline dans leur écosystème, les OI découvrent l’importance de la com.
Je suis arrivé dans mon OI au début de cette transition. Engagé dans le service de presse (disparu depuis) j’y côtoyais alors la faune traditionnelle de journalistes chevronnés (lire psychopathes alcooliques en fin de carrière) qui hantait l’organisation depuis sa création. Aujourd’hui, le service de presse n’existe plus et ce monde pittoresque a laissé place à une agence de marketing gérée par un middle-management féru de dashboards, de KPI (Key Performance Indicator) et de tableurs Excell. Le marketing a dévoré l’information parce qu’au fonds, celle-ci n’est plus un sujet.
On s’est mis à faire de la com et à — littéralement — fabriquer les retombées media ; les journalistes (l’évolution de la presse dans ces années-là est un sujet en lui-même) se sont laissé faire.
Depuis lors et dans toutes les OI, les grosses ONG et autres multinationales le cycle de l’information — préfabriquée et hors sol – est le même : communiqué de presse copié-collé par les agences de presse, dépêches des agences de presse copiées-collées par les médias.
Lorsque les OI étaient encore des organisations interétatiques, la règle de Chatham house s’imposait. La transparence était alors un gros mot car les États — au travers de leurs délégations — devaient pouvoir discuter librement à l’abri de la pression médiatique. A l’ère globale, la « nécessité » démocratique a poussé les « égoïsmes » nationaux hors du jeu au profit d’une armée de communicants confisquant inutilement la parole.
L’omniprésente « communication » visait à fabriquer une légitimité normative au moment où la légitimité performative commençait à laisser un peu à désirer.
Pleins feux donc sur la légitimité normative des OI : on dit le beau, on dit le bien, on dit la science pour un monde meilleur !
Hybridation de la gouvernance globale et unilatéralisme de l’Oncle Sam
L’obsession d’une organisation internationale est la raison d’être qui justifie son existence.
La justification est arrivée à point nommé avec l’approche « nécessairement » holistique de problèmes mondiaux « complexes et interconnectés » qui eurent le bon goût d’apparaître ensemble dans les années 90.
La globalisation est bonne fille et n’est pas avare de chimères inaccessibles offrant autant de feuilles de route perpétuelles : changer le climat, prévenir les pandémies, promouvoir la paix et la justice sociale dans le monde
La globalisation était donc la promesse d’une rente à vie sous le signe d’une utopie : construire le citoyen du monde
Comme les OI n’ont ni la légitimité ni les moyens de leurs ambitions, leurs performances sont étroitement corrélées à leur proximité avec la puissance hégémonique dont elles forment le paravent. Qui paye l’orchestre choisit la musique.
Les rapports Etats-Unis – OI sont asymétriques : l’hégémonie américaine n’attend pas les OI pour imposer l’extraterritorialité du droit américain (qui est la gouvernance globale par le fait) et le rapport de dépendance financière ne joue pas en faveur des OI.
Très vite, le pouvoir profond américain – centre opérationnel de l’empire – ne voyait plus en elles qu’un instrument de soft power parmi d’autres.
Le soft power américain s’exerce de plusieurs façons, notamment :
1. Le chantage budgétaire et une gestion savante des arriérés de paiement : Les États-Unis ont créé et sont le principal contributeur financier de la plupart des OI. Cela leur permet d’exercer une influence considérable sur les politiques et les programmes de ces organisations.
2. L’influence de la langue anglaise : L’anglais est la langue dominante dans les OI, et les États-Unis sont le pays anglophone le plus influent. Cela leur permet de communiquer facilement avec les autres membres et de faire passer leur message plus efficacement.
3. Un « habitus » procédural importé de la bureaucratie US
4. L’utilisation de la technologie : Les États-Unis contrôlent totalement l’architecture de l’info-com des OI : réseaux, serveurs, sécurité, stockage, hardware, software
Parallèlement, la multiplication des partenariats public-privé (les PPP représentent environ un tiers du portefeuille d’investissements de la Banque mondiale) conduisent à une véritable dépendance financière à l’égard des féodalités privées.
L’hybridation de la gouvernance mondiale est illustrée de manière caricaturale par la quasi-prise de contrôle de l’OMS par Bill Gates à l’occasion de la crise du covid.
Les budgets sont conditionnés à la promotion d’un agenda d’inspiration néolibérale et les OI ont dû opérer un aggiornamento de leurs programmes de travail.
En quête de financement, les OI entrent dans un cycle de compétition / coopération (voire par exemple les fameux Objectifs du millénaire pour le développement : une véritable course à l’intersectionnalité !) sur fond de pensée unique.
Globalitarisme des intentions
Les urgences globales (terrorisme, santé, apocalypse financière) font système avec une géopolitique de la peur qui conduit à une pensée unique coercitive et liberticide :
— l’UNESCO qui se donne aujourd’hui pour mission de censurer l’Internet en classifier les plateformes, les contenus et les utilisateurs afin d’« améliorer la fiabilité des informations » et de « lutter contre la désinformation », c’est à dire contre vous et moi !
— L’OMS prépare un projet de traité supranational qui permettra « de contrôler les politiques intérieures » des États en cas de future pandémie.
En fait du GIEC à l’OMS, on trouvera certainement plus de « diplomatie scientifique » que de science et les OI sont devenues l’annexe « experte » du ministère global de la vérité.
Face au Nouvel Ordre Mondial annoncé en 1991 par George H. W. Bush dans une adresse au Congrès américain, certains pays ont rechigné, voyant la généralisation des normes et valeurs américaines comme une menace pour leur souveraineté.
Ils ne tarderont pas à faire connaissance avec une version de la démocratie vigoureusement promue par l’armée américaine.
Mais le déploiement de l’armée américaine est l’Ultima ratio.
La plupart du temps, le Nouvel Ordre Mondial « américain » s’emploiera à régner par OI interposée : dès 1989 le FMI s’associe au Trésor américain en réponse à la crise de la dette souveraine pour sauver les institutions financières internationales. Cela se fera bien sûr au prix d’une atteinte à la souveraineté des États débiteurs. Les programmes d’ajustement structurel (austérité, privatisations, dérégulation et ouverture de l’économie aux multinationales) seront dès lors systématisés. En plus de la contrainte de conformité à un cadre d’orthodoxie économique s’ajouteront bientôt des critères de « bonne gouvernance » (droits LGBT en Afrique par exemple).
Le cas grec offrira une illustration de cette « militarisation » des OI au service d’intérêts privés :
En 2001, Goldman Sachs a aidé le gouvernement grec à cacher une partie de sa dette pour remplir les critères de convergence de l’Union européenne pour rejoindre la zone euro. La crise grecque éclate en 2009 quand le gouvernement grec a révélé que son déficit budgétaire était bien plus élevé que prévu tandis que Goldman Sachs « shorte » la dette grecque. La banque qui était bien placé pour connaître les cadavres qu’elle avait caché dans le placard de la dette grecque, ne fera l’objet d’aucune poursuite.
Par contre, la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international (FMI)) imposera des réductions drastiques des dépenses publiques et des augmentations des impôts au peuple grec ; elle a également imposé un programme d’ajustement structurel et de privatisations : réforme du marché du travail, réforme du système de retraite et du système de santé, vente à prix cassé d’entreprises d’État dans des secteurs clés tels que l’énergie, les ports, les aéroports et les chemins de fer.
Malgré cela, la Grèce est toujours plongée dans une épouvantable crise sociale ; elle a entre-temps été dépouillée de sa souveraineté économique.
Les décombres
Mais les signes d’agonie du mondialisme se multiplient :
— L’intégration harmonieuse de l’économie mondiale n’est plus qu’un souvenir.
— L’économie mondiale se dédollarise
— L’OMC est marginalisée : le « cycle de Doha » est exsangue, l’Accord sur le Commerce des Services ne verra jamais le jour tandis que les accords bilatéraux se multiplient au détriment des accords multilatéraux
— Pas une semaine ne se passe sans que l’UE ne tente d’éteindre un incendie résultant de tensions politiques et/ou économiques entre ses États membres
— Les dinosaures de Bretton Woods sont déjà doublés, notamment dans les BRICS, par des organisations nouvelles : Nouvelle Banque de développement, une institution financière multilatérale créée en 2014 par les pays membres du groupe BRICS, Banque de développement de l’Organisation de coopération de Shanghai créée en 2015, Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures mise en place dans le cadre du projet Belt and road chinois – nouvelles routes de la soie, etc.
Le désengagement des OI (Brexit, retrait provisoire des Etats-Unis de l’OMS et de l’UNESCO, remise en cause du fonctionnement de l’OMC, réduction des financements, etc.) est une tendance lourde qui accompagne le reflux mondialiste. Les scandales financiers à répétition ont également érodé la confiance dans la capacité des OI à garantir une gouvernance globale éthique. OMS, FIFA, ONU, UE, PAM (Programme alimentaire Mondial) ont fait les gros titres de la presse à scandales dans le cadre d’affaires de corruption, de détournement de fonds, de manipulation de données ou d’abus sexuels, etc.
Surtout, l’utopie mondialiste est de plus en plus déconnectée des réalités d’un monde devenu multipolaire et ses « valeurs » sont universellement rejetées. La multipolarité rétablira les États dans leur rôle d’acteurs principaux du système international.
Le mélange des genres (PPPs par exemple) et la dérégulation planétaire qui rendent possible le capitalisme de connivence à l’échelle mondiale en seront entravés.
Les petits ou grands « secrétariat de la mondialisation » n’y survivront pas.
Sergueï Vehme, expert