Nomadisme et migrations

Nomadisme et migrations ont accompagné l’évolution de l’humanité et l’on en trouve la trace dans la Bible. Pour autant, les textes ne peuvent être pris à la lettre et les phénomènes doivent s’interpréter en fonction de leur contexte, en l’occurrence, culturel, civilisationnel et géopolitique. Jean-François Geneste revient pour Russie Politics sur cette question, qui prend aujourd’hui les apparences d’une guerre civilisationnelle.

Sans entrer dans les détails, nous savons que l’homme a d’abord été chasseur-cueilleur et donc nomade, qu’il a inventé l’agriculture et s’est sédentarisé. C’est ainsi que l’entité fondamentale qu’était la famille ou la tribu s’est étendue au royaume. La Bible elle-même prend acte de cela.

Dans cette dernière l’étranger est le bienvenu[1] dans un contexte où il y avait 170 millions d’habitants sur terre, où l’espérance de vie était de 25 ans et la forme de déplacement le plus rapide était le cheval. Il venait donc très rarement et au compte-gouttes. Par ailleurs, compte tenu des modes de transport, il ne provenait jamais de très loin en moyenne et était donc originaire d’une culture connexe.

Dans un monde à 8 milliards d’âmes où on peut faire 10 000 km en 10 heures ou quand on peut mettre plusieurs milliers de personnes sur un même bateau, il en va tout autrement.

Mais revenons au nomadisme pour constater que la globalisation pousse à cela. Il y a les « nomades de luxe » ainsi que le disait Jacques Attali dans une célèbre diatribe. Remarquons néanmoins qu’ils ne « migrent » jamais dans des pays comme le Nigéria ou le Zimbabwe. Ils leur préfèrent les îles surnommées paradisiaques ou les cœurs des cités des contrées développées, par exemple New York ou Paris. Mais il y aussi la masse des pauvres qui est encouragée à migrer dans le faux espoir d’une vie meilleure et pour fournir une main-d’œuvre bon marché et corvéable. Néanmoins, cette masse n’est pas traitée individuellement par le mondialisme en hommes d’égale valeur devant Dieu à l’instar du catholicisme, mais plutôt en variable d’ajustement sur laquelle on se permettra de faire des statistiques à partir d’échantillons. Elle devient dès lors un moyen, manipulable à souhait, pour des fins  économiques et de sécurité, en général au profit des nomades de luxe. Vues du haut, ces bêtes de somme sont, hélas, loin d’avoir un statut seulement comparable à celui d’un esclave de l’antiquité grecque ou romaine ! De plus, au fil de l’histoire on n’a cessé de les précipiter dans des guerres toujours plus meurtrières avec le point culminant de la Deuxième Guerre mondiale, mais depuis il y a eu pis, puisque bien davantage de personnes sont mortes dans l’indifférence totale suite à des décisions d’achats ou de ventes en bourse ou à des affrontements sporadiques du « camp du bien » comme en Irak par exemple, et j’en passe.

Le conflit civilisationnel actuel entre la Russie et la Chine d’une part et l’Occident de l’autre concerne, d’une certaine façon, le nomadisme. Les premiers n’en veulent pas pour des raisons identitaires, culturelles, organisationnelles, linguistiques, religieuses, etc. De l’autre côté du spectre, le second encourage les migrations. On le voit avec la politique de Biden qui a annulé toutes les lois de Trump et l’Europe qui se suicide en finançant les ONG qui ne sont en fait que des trafiquants d’êtres humains pour des fins bien difficiles à percevoir sinon des intérêts pécuniaires personnels et qui nous inondent d’illégaux.

Néanmoins, aucun pays n’est homogène. Nous trouvons des anti-immigrationnistes dans toutes les nations, notamment occidentales, et la cinquième colonne russe pro-occidentale est à la fois nomade et « nomadiste ».

En ce sens-là, la guerre en cours en est bien une de civilisation. Veut-on des sédentaires pour établir un peuple ou une civilisation ou désire-t-on des êtres indifférenciés qui devront s’adapter à la zone d’accueil et aux modes du moment[2] ? Souhaite-t-on des acteurs qui forgent le monde comme les agriculteurs qui sont la racine de la sédentarité ou requiert-on des suiveurs à l’identique des chasseurs-cueilleurs qui, en quelque sorte, miment les criquets pèlerins et ne restent sur un territoire que le temps de l’épuiser?

Le pape François est  encore une fois intervenu à Marseille le 23 septembre 2023 sur ce sujet. Il a clairement encouragé l’hospitalité des migrants et a donc invité à l’émigration sur le globe à destination des pays d’Amérique du Nord ou d’Europe en tançant à l’avance ceux qui seraient réticents à un traitement généreux.

Posons-lui alors quelques questions de bon sens à ce très Saint-Père. Il y a, dans le contexte catholique, à n’en pas douter, le royaume des Cieux et celui de l’enfer. Nous savons par l’Apocalypse de Jean, dernier chapitre de la Bible, qu’il y aura peu d’élus pour le premier. Même si le nombre est symbolique, il n’est fait état que de 144 000[3]. Que dirait  François, au paradis nous n’en doutons pas, s’il voyait arriver une immigration massive de la géhenne ? Des dizaines de milliards de gens qui viendraient s’installer avec leur culture, sans intention d’en changer ? Croit-il vraiment que les 144000 parviendraient à gérer cela ? Imagine-t-il que ceux qui auraient été condamnés aux affres alors qu’on leur aurait auparavant donné toutes les chances et qu’ils les auraient refusées pourraient se métamorphoser ? Que penserait-il, dans un tel contexte, de l’œcuménisme entre le paradis et l’enfer ?

Il ne s’agit pas ici de diaboliser qui que ce soit et pas les migrants bien sûr. Encore une fois, si on en reçoit un de temps en temps il n’y a aucun problème. Mais quand les transhumances se font en masse, comme dans « Le Camp des Saints », il y a des situations que l’on ne peut gérer. Nous savons depuis maintenant des siècles que la Bible ne doit pas être prise à la lettre, mais nécessite d’être interprétée. Il ne fait nul doute que l’interprétation de l’adresse faite dans Matthieu et citée plus haut se plaçait dans un contexte complètement différent de celui d’aujourd’hui et que nous devons, à la lumière de l’humanisme chrétien[4], considérer le monde dans lequel nous vivons et qui est substantiellement contrasté avec celui de l’époque de Jésus. Je ne souhaite pas ici discuter d’éventuelles solutions, chrétiennes, bien entendu. Mais il semble nécessaire d’arrêter ce flux et de s’en donner les moyens.

Et cela nous amène à notre conclusion qui sera politique quant à notre appréciation du conflit de civilisation en cours. La Sainte Russie a renoué, au plus haut niveau, avec sa tradition sacrée. Elle est donc quasiment, aujourd’hui, dans une sorte de guerre sainte. L’Occident woke et LGBT, décadent, ne comprend pas cela ou ne veut pas l’entendre. Plus étonnante est la question chinoise. On conçoit très bien que l’Empire du Milieu souhaite se préserver des prédateurs. Mais alors qu’il est l’État le plus athée du monde ou presque, à moins de considérer le communisme comme une religion, ce qui n’est pas faux, il est surprenant qu’il s’implique dans le camp, au final, le plus éloigné du matérialisme. L’avenir nous dira s’il sera un partenaire fiable de long terme de la Russie. Il subsiste à nous interroger sur le reste de la planète. L’Afrique a choisi en grande majorité la rupture avec l’Ouest, ce qui se comprend très bien. La position du Moyen-Orient nous paraît aussi pencher du même côté, notamment avec l’entrée dans les BRICS de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. Il demeure néanmoins une variable essentielle qui est l’Inde. Que va-t-elle faire dans ce contexte ?

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.


[1] « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » (Matthieu 25:35)

[2] Par exemple, LGBT puisqu’on incite les migrants à se déclarer comme tels pour obtenir des régularisations.

[3] Apocalypse 7 et 14.

[4] le philosophe Pierre Manent suggère de faire « la distinction entre le devoir de secourir qui est en effet inconditionnel et l’obligation de recevoir dans la citoyenneté qui ne saurait avoir le même caractère ».