Toujours l’hégémonie mondiale en ligne de mire
Les États-Unis persistent, malgré leurs déconvenues en Ukraine, à vouloir régir militairement le monde. Plus de précisions sont données dans ce court article. Le programme porte le nom de JADC2, qui vise à unifier les réseaux des armées américaines. Bien que peu de détails soient fournis à ce stade, on peut à satiété penser que cela concerne la totalité de la boucle « voir, décider, agir » (OODA en anglais). L’objectif de ce programme est de couvrir l’ensemble de la planète pour pouvoir « aider » les soldats américains, où qu’ils soient. Cela passera par la mise en orbite de sans doute plusieurs constellations militaires de centaines de satellites, sinon des milliers. Ces engins seront « sécurisés » et le non-appel à Starlink, par exemple, est justifié, a priori, par sa faiblesse en la matière. Pour Jean-François Geneste, il convient de rester dubitatif sur ce point, en se posant la question de ce qu’entend faire en réalité le Pentagone en ce domaine.
Ceux qui se sont réjouis de la bascule géopolitique qu’a constituée l’élargissement des BRICS seront un peu marris, car en vérité, la compétition continue et, objectivement, elle se militarise. On peut donc s’attendre à des conflits sporadiques déclenchés de-ci, de-là. Hier il y a eu les « printemps arabes », aujourd’hui nous avons l’Ukraine et demain, très sûrement l’Arménie et d’autres. Washington ne semble savoir que penser la guerre et peu le développement harmonieux de l’humanité. Il a trouvé en l’Europe et quelques autres vassaux des sortes de supplétifs économiques pour les différends mineurs qui visent néanmoins à défaire ses rivaux géostratégiques.
La Russie est entrée dans son opération spéciale peu de temps après l’annonce de la mise au point de ses missiles hypersoniques. Ceux-là, véritables tueurs de porte-avions et de leurs groupes aéronavals, ont le mérite de limiter la projection états-unienne. Toutefois, pour faire cela, encore faut-il être dans un conflit direct. La stratégie de l’Oncle Sam consistant à distendre la Russie pour mieux la couler a peu de chance de permettre à cette dernière d’utiliser pleinement son potentiel.
En rajoutant la couche spatiale dont nous avons parlé plus haut, ce qui se mijote est donc toujours plus d’affrontements, en périphérie des ennemis de l’Amérique dont nous ne connaissons pas les contours exacts (quid de l’Inde, de la RSA, et de quelques autres si le vent se met à souffler très fort ?).
Reconnaissons cependant que les USA se donnent les moyens de leur politique. La nouvelle composante satellitaire en cours de développement consacre le fait qu’ils n’attaqueront pas directement ni la Chine ni la Russie. Mais qui en aurait douté, y compris avant l’avènement des missiles hypersoniques ? Le risque nucléaire aurait été trop grand.
Nous allons donc avoir, dans les années qui viennent, un certain nombre de pays qui seront candidats à la déstabilisation. L’Algérie, qu’elle rentre dans les BRICS ou non, nous semble être, hélas, un bon prétendant. Mais elle n’est pas la seule. Beaucoup d’autres sont sur la liste !
La question qui se pose est alors de savoir ce que concoctent les adversaires. On ne voit guère comment ils pourraient éviter une guerre spatiale s’ils veulent protéger leurs alliés. Or, à notre connaissance, ils ne préparent rien ! Pourtant, à bien lire Karine Bechet—Golovko, le mouvement BRICS est bien un mondialisme naissant. Une alternative au système actuel, mais avec un objectif, in fine, passablement similaire, sauf que ce ne sont pas les mêmes qui tiennent le manche.
Il y a donc un retard conceptuel du côté de l’Orient par rapport à l’Occident. Rejouer un coup quelque peu identique à l’hypersonique pour les constellations n’est malgré tout pas très difficile. Par ailleurs, concevoir une sorte de parapluie pour les états ayant des velléités d’indépendance pourrait être politiquement porteur et rappeler certains épisodes de la Guerre froide.
Nous voilà dès lors dans une situation transitoire où la bascule géopolitique qui s’est faite n’a absolument pas calmé les ardeurs hégémoniques de l’Ancien Monde, bien au contraire, semble-t-il. Néanmoins, la menace est grande et ne compter que sur la dédollarisation risque de se révéler bien court.
De même qu’il y a une OTAN, serait-il pensable qu’elle ait un pendant BRICS ? Le Pacte de Varsovie n’a pas laissé que de bonnes traces… ! Par ailleurs, l’OTAN est en train de largement se discréditer, il ne serait donc pas forcément judicieux de copier un concept qui ne marche pas et qui reste, qu’on le veuille ou non, « en état de mort cérébrale ». Il faudrait être un peu astucieux, audacieux et penser en dehors des sentiers battus. Mais est-on susceptible de cela du côté oriental du monde ? Il ne s’agit pas ici de capacité intellectuelle, mais de tournure d’esprit et de volonté. On y est plutôt conservateur. Cela a des avantages, mais aussi des inconvénients et les « disrupteurs » n’y sont pas si bien vus que cela. Pourtant, compte tenu des nuages qui s’amoncellent, faire appel à eux, et il y en a, semblerait être une nécessité. Après tout, Descartes n’a-t-il pas écrit : le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, car chacun croit en être si bien pourvu qu’il n’a point coutume d’en désirer plus qu’il n’en a.
Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.