Chine-Russie : la prochaine étape ?

Les dirigeants ne sont pas éternels, même s’ils sont au pouvoir depuis longtemps. Tôt ou tard se pose alors la question de leur succession. Cette question est d’actualité pour deux pays, dont le poids n’est pas négligeable dans l’architecture internationale, à savoir la Chine et la Russie. Jean-François Geneste s’interroge pour Russie Politics sur l’impact que cela pourra avoir sur l’avenir des relations entre ces pays, sur fond de conflit atlantiste en Ukraine, joué par les Américains.

Pour ce texte, nous nous appuierons avant tout sur cet article qui affirme que Xi-Jinping pourrait bientôt quitter le pouvoir en Chine. En réalité, des factions du parti communiste, qui auraient été écartées précédemment, reviendraient. L’empire du milieu est particulièrement opaque, aussi ne savons-nous pas si cela n’est que rumeur colportée ou s’il y a des fondements à ces dires, mais, quoi qu’il en soit, nous en arrivons à un âge, pour le dirigeant de Pékin qui est assez respectable : 72 ans. S’il quitte en 2027, il en aura 74 et à moins que l’on veuille, dans un pays d’environ un milliard et demi d’habitants, rejouer la chorégraphie américaine Biden ou même Trump, et mettre en scène des personnes d’une autre génération que celle qui constitue les forces vives de la nation, il semble raisonnable de penser que Xi devra passer la main.

Il en est de même pour Vladimir Poutine, qui a actuellement un an de plus que lui et qui est élu jusqu’en 2030, ce qui l’amènera à 78 ans.

Or, l’alliance qui a été scellée par les deux dirigeants les plus puissants du monde devrait perdurer. Il va donc falloir user de diplomatie pour que les successeurs, eux aussi, établissent de bons rapports entre eux et collaborent de façon très rapprochée, notamment dans le domaine militaire, puisqu’ils sont dans la ligne de mire d’un Occident très agressif et moribond, donc d’autant plus dangereux. L’idéal serait que les protagonistes forment et mettent le pied à l’étrier à leurs continuateurs respectifs. Mais peut-être est-ce trop tard pour la Chine ?

Par ailleurs, si les jeux sont déjà faits pour Xi, il faudrait en connaître les raisons et ce qu’ont en tête ceux qui vont venir. La Russie, elle, semble plus stable et ne devrait pas soutenir de tels problèmes. Mais il serait souhaitable que Vladimir Poutine intronise un successeur qu’il a encore le temps d’instruire. À moins que ce ne soit déjà fait, ce n’est pas apparent et l’on peut être quelque peu circonspect, sous l’adage selon lequel gouverner c’est prévoir, de ne pas voir les choses se dessiner clairement.

Il va donc bientôt y avoir une période floue dans laquelle les Occidentaux pourraient très bien essayer de s’infiltrer pour tenter de casser ce qui est, de fait, une garantie quasi absolue de sécurité pour ces deux immenses nations.

De plus, il serait souhaitable que les bons rapports entre les gouvernants irriguent toutes les strates des sociétés de façon à sceller davantage cette union qui est dictée avant tout par l’adversité à laquelle elle a à faire face.

Il ne fait nul doute que bien des intérêts sont convergents et rappelons, pour le lecteur qui ne l’aurait pas remarqué, que les échanges entre Russie et Chine sont déficitaires pour cette dernière de 4,7 milliards de dollars, ce qui reste faible.

Dans ce contexte, il est intéressant de jeter un regard sur la tentative américaine, dans le cadre du conflit ukrainien, d’entreprendre d’amadouer la Russie pour s’en servir de réservoir de matières premières. Personne n’est dupe, mais le Kremlin pourrait être séduit à équilibrer sa position plutôt que de mettre tous ses œufs dans le même panier. Néanmoins, un accès incontrôlé aux ressources russes de la part des États-Unis distendrait le lien de dépendance de ces derniers avec Pékin, ce qu’elle ne souhaite probablement pas, car elle peut jouer facilement de contre sanctions aux velléités hégémoniques de l’oncle Sam. Comment se résoudra cette question reste une interrogation qui engage pour partie non négligeable l’avenir du monde.

On oppose aussi parfois une zone chinoise très densément peuplée à côté d’un territoire de 17 millions de kilomètres carrés et presque vide. Mais si un temps le trop-plein risquait de s’y déverser, la politique de l’enfant unique de Mao a placé son pays dans une situation prévisionnelle assez catastrophique. Non pas que cette terre deviendra sous-peuplée, mais, compte tenu de son modèle économique, il est possible qu’elle ait à faire face à des difficultés. L’intelligence artificielle et la robotique suffiront-elles à pallier cela ?

Mais passons à notre morceau de résistance. La Chine a eu une attitude de neutralité bienveillante pendant le conflit ukrainien. De son côté, elle veut récupérer Taïwan et elle a le droit international en sa faveur. Elle est très patiente, beaucoup plus que les Occidentaux. Arrivera-t-elle à éviter le contentieux pour recouvrer son bien ? Cela ne dépend pas que d’elle et nous voyons très clairement la stratégie belliqueuse, une fois supplémentaire, de l’Occident collectif qui vise à déclencher l’étincelle d’une guerre via le fameux pivot vers l’Asie.

Il se trouve que, sous Obama, cela pouvait séduire un certain nombre d’États voisins qui avaient peur de se faire dicter leur loi par Pékin. Mais la mauvaise foi occidentale dans le cas de figure concernant Kiev a été tellement scandaleuse et accompagnée de malhonnêteté, que la question se pose pour les riverains de savoir, moyennant garanties écrites par les deux principaux protagonistes ayant fondé les BRICS, s’il ne serait pas plus profitable de vivre dans un monde pacifié et équilibré plutôt que de se retrouver potentiellement déstabilisé par des révolutions de couleur suscitées par des ONG.

La collaboration Russie Chine a donc un impératif dans ce cadre de façon à décourager les États-Unis de chercher querelle et devrait viser à les bannir, d’une certaine façon, de cette zone où ils n’ont plus rien à faire. Et il serait bon que cela soit réglé avant la retraite des deux géants politiques dont nous parlons ici. Ils légueraient alors une Asie du Sud-est bien plus stable que ce qu’elle est actuellement.

Imaginons néanmoins que nos deux alliés failliraient. L’empire du Milieu entrerait en guerre et la question se poserait de l’attitude de la Russie. De la même manière que le premier ne pouvait se permettre une défaite de la seconde dans le cas ukrainien, la situation serait totalement réciproque, mais à une différence près. A priori, cela ne se ferait pas via un substitut, mais directement. Les forces en jeu seraient alors colossales et on risquerait l’usage du nucléaire stratégique.

Dans de telles conditions, quelle serait l’attitude exacte de la Russie ? Nous laisserons le lecteur avec la question et n’y répondrons pas dans ce texte.

Cette option paraît cependant assez peu probable aujourd’hui, tant Washington est en retard en matière d’armements. Sa défense de Taïwan impliquerait l’engagement de ses porte-avions qui ne feraient pas long feu sous les missiles hypersoniques de Pékin. Actuellement, une telle opération, localisée, ne peut qu’être perdue par l’Occident, même s’il arrive à fédérer le Japon et l’Australie, sans parler, bien entendu du grand corps malade qui s’appelle l’OTAN et qui a l’électro-encéphalogramme plat, comme on peut le constater chaque jour qui passe.

Mais, avec le temps, qui sait si la barre ne pourra pas être redressée ? La situation pourrait alors se rééquilibrer. Il y a donc une fenêtre d’opportunité pour la Chine. Elle ne devrait pas gâcher cette chance historique qui pourrait la conduire à une victoire à la Sun Tsu, gagner sans avoir à faire la guerre !

Nous conclurons sur cette note. En effet, comme nous venons de le décrire à plusieurs reprises, la politique, la diplomatie et les alliances entre les deux géants de l’est, si elles sont bien pilotées, mèneront à la paix tout en défaisant l’Occident.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.