Le risque français

Quels sont les dessous de cet étrange processus de «négociations» au sujet de l’Ukraine? Comment interpréter les voltes-faces des différents acteurs et la position des Européens ? Comment analyser la position de la France dans ce jeu et la mise en avant d’un couple franco-britannique contre-nature ? Jean-François Geneste développe ces questions pour Russie Politics.

Ces temps-ci (fin mars 2025) suivre les événements quant aux relations internationales devient difficile, car s’il y a quelques semaines les camps rivaux étaient bien identifiés, la volte-face étatsunienne brouille les cartes, et ce, d’autant que les déclarations américaines sont souvent contradictoires et à peu d’intervalle.

Les commentateurs ont des avis partagés entre ceux qui voient la paix ou, tout au moins, le risque de guerre mondiale s’éloigner, ceux qui pensent que Trump finira par sortir du problème ukrainien pour se concentrer sur Israël (donc l’Iran) et la Chine, et enfin ceux qui considèrent que la guerre chaude va continuer sur le continent européen avec une implication toujours plus importante de la France et de la Grande-Bretagne, sans compter un retour de l’Allemagne qui vient de décider de se réarmer massivement.

Le contenu des discussions russo-américaines ne percolant guère, nous en sommes ramenés à faire quelques conjectures. Mais ce qui nous préoccupe actuellement est plutôt l’attitude du couple franco-britannique qui, lui, fait des déclarations tonitruantes et sans filtre.

D’aucuns se moquent de la velléité de ces deux nations qui n’ont pas les moyens de leur politique. Il faut néanmoins apporter quelques nuances à ce propos, lesquelles méritent d’être rappelées. Beaucoup voient aujourd’hui en les États-Unis  une super puissance. Remémorons-nous cependant les paroles de Lord Halifax à Lord Keynes dans une réunion américano-britannique de 1942 qui visait à partager le monde à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale. Il lui dit : « they have all the bags of money, we have all the brains »[1]. Les commentateurs de l’histoire ont toujours interprété ces propos comme une condescendance anglaise à l’endroit de son ancienne colonie dans le contexte d’un empire qui s’effondrait, ce dont les acteurs n’auraient pas eu conscience. Cela, c’est la vision orthodoxe. Néanmoins, rappelons que la FED, qui est une institution privée, a priori, dépend bien davantage que ce que d’aucuns ne pensent, de la banque d’Angleterre et des familles qui y sont impliquées. Et il n’est donc pas sûr du tout, quand on connaît la subtilité d’Albion, qu’elle ne désigne en hégémon, un ersatz qui lui servirait de paravent sinon de faux-nez.

Revenons au temps plus récent pour constater que c’est bien Boris Johnson qui a torpillé les accords entre l’Ukraine et la Russie en 2022, et non Joe Biden. Rien que cela devrait mettre la puce à l’oreille pour savoir qui gouverne vraiment.

Vue depuis ce contexte, la pédale douce américaine sur ce conflit laisse plutôt penser à une chute en cours de l’Empire britannique qui n’interviendrait que maintenant. Si tel est le cas, il faut se demander quels restent les moyens de pression du Royaume-Uni, contre l’Oncle Sam. La finance, sans aucun doute, est une arme redoutable. Mais est-elle la seule ? Et est-elle suffisante ? Nous ne répondrons pas ici à ces questions.

Passons à la France, qui est notre sujet principal. Paris suit Londres aveuglément. Il est nécessaire de dire que la structure économique de notre pays dépend de celle d’outre-Manche encore davantage que les États-Unis. Dans un contexte de dette abyssale, non pas subi comme le pensent la plupart, mais voulu et planifié, nous ne pouvons nous permettre de lâcher l’empire de sa majesté, qui est toujours bien là. Au passage, il y a des États qui ont bien compris comment se passent les choses. Nous avons en tête ici et plus particulièrement le Gabon qui a rejoint le Common Wealth en 2022.

Mais qu’à cela ne tienne, nous sommes pieds et poings liés avec nos cousins et ennemis historiques. Nous remarquerons aussi que les Allemands, avec la décision récente du Bundestag, dans des circonstances « démocratiquement troublantes », ont modifié la constitution, pour pouvoir s’endetter et préparer la guerre à défaut de la faire tout de suite, et font également partie du « système » tout en restant sous contrôle de l’empire. Et cela contaminera donc très probablement toute l’Europe, les pays baltes et la Pologne étant antirusses à un point à peine imaginable, Albion ayant toujours divisé pour régner.

Que faire dans un tel cas, surtout quand on est officiellement en pourparlers de paix entre Russes et Américains ? Il est clair que l’Europe va leur mettre des bâtons dans les roues. Mais qui gêne dans ce jeu à trois ?

Les deux seules vraies puissances militaires du continent sont la Grande-Bretagne et la France. Mais sont-elles équivalentes ? En réalité, non. La force nucléaire de Londres, autant que l’on puisse le savoir, est sous contrôle américain. Donc, tant que Poutine et Trump discutent, il n’y a pas de risque de déclenchement intempestif de ce côté-là, même si, nous l’avons vu plus haut, ce ne sont peut-être pas les États-Unis qui mènent le bal.

Il reste donc la France, celle de Macron ! En citant ce nom, on a , en quelque sorte, accompli un exploit : celui d’avoir fait le tour de la vacuité en un  mot unique. Seulement voilà, l’idiot du village a entre ses mains un jouet qui peut causer du mal à autrui. Et c’est bien connu, il vaut mieux prévenir le danger.

Il est sûr que, si la difficulté se posait aujourd’hui, les grandes puissances du moment imposeraient au détenteur du hochet nucléaire d’adhérer au traité de non-prolifération et lui interdiraient la possession de la bombe. Mais nous avons encore quelques scories d’un passé brillant où les dirigeants n’avaient pas tout à fait le QI d’un enfant attardé.

Notre pays est ainsi devenu, l’air de rien, un problème et un risque. Et ceux qui ont une voix dans le monde, en véritables responsables, se doivent de trancher la question sérieusement et d’une manière assez ostentatoire pour servir de leçon à ceux qui seraient tentés de suivre un chemin similaire.

Voilà donc un scénario de politique fiction, mais qui nous semble actuellement assez plausible pour être donné dans ce texte. Si nous considérons, d’un point de vue global, un pays moyen qui posséderait l’arme nucléaire, au mieux peut-il jouer le rôle d’une puissance de paix, voie qu’avait inaugurée le général de Gaulle. Là où le bât blesse, c’est quand le même pays veut jouer au va-t’en guerre et désire peser sur les grandes puissances lorsqu’elles plaident pour la paix, y compris si leurs intentions peuvent ne pas être complètement « pures ».

La tentation va ainsi être importante pour Washington et Moscou d’envisager de se débarrasser de Paris et de son insupportable attitude de roquet, qui empêche le monde de tourner selon le rythme de son moteur principal. Encore une fois, Londres est sous contrôle total en la matière et ne peut avoir aucun rôle.

Comment, donc, faire taire le « cabot » et lui intimer de rejoindre sa niche ? C’est là qu’intervient le fameux missile Oreshnik. En effet, compte tenu de la structure nucléaire en France, combien faudrait-il de tels missiles pour détruire la capacité du pays ? 1, 2 voire 3 maximum ? Rappelons que cette arme est conventionnelle et qu’une réponse éventuelle, en théorie du moins, devrait rester du même ordre, moyen dont Paris ne dispose pas. Mais comment répliquer, y compris nucléairement, si la force de la nation est complètement rasée à l’exception, peut-être, du seul SNLE qui est en permanence à la mer et que nous possédons ?

Une telle attaque, russe, avec le feu vert américain, détruirait pour de bon la capacité française, rayerait une puissance nucléaire sur le globe, avertissant clairement les hypothétiques autres velléitaires d’un sort identique en cas d’attitude « déplacée ». Cela permettrait de surcroît un remaniement du conseil de sécurité des Nations Unies avec l’entrée de véritables grandes puissances qui, qu’on le veuille ou non, sont caractérisées par d’immenses territoires et c’est probablement un des moteurs de la doctrine Trump visant à annexer le Canada et le Groenland.

Le risque français, titre de cet article, est par conséquent double : un danger pour la paix dans le monde de la part de notre État et une menace pour elle-même, car, en se positionnant dans une attitude guerrière, elle se met en situation de faire détruire sa force militaire et son statut international avec l’assentiment général. La « bête de l’événement » pilote donc le Titanic à pleine vitesse vers le suicide avec son équipage au complet, assemblée nationale, sénat et députés européens qui sont complices à 100 %. Alors, Français, pour ceux qui ont l’instinct de survie, aux chaloupes !

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.


[1] Ils ont l’argent, nous avons l’intelligence.

комментария 2

  1. 01.04.2025

    […] Ci-joint un lien vers le dernier article – concis et très éclairant –  de Jean-François Geneste sur les rapports de force actuels entre grandes puissances et les risques de la France en ce contexte. Publié dans « Russie Politics ». https://russiepolitics.com/le-risque-francais/ […]

  2. 03.04.2025