Lutte Chine Etats-Unis

Après avoir couvé pendant des années, la décision de Donald Trump de taxer la Chine, laquelle a répondu de manière quasi symétrique, la guerre est officiellement déclarée. Pour l’instant, elle a les contours d’un conflit commercial, mais cela pourrait bien déboucher sur davantage. Jean-François Geneste nous livre pour Russie Politics son analyse sur ce qui va advenir, car le puzzle est déjà en place et les jeux sont faits, même si beaucoup d’acteurs, qui ne comprennent pas la situation, rêvent tout haut.

Parmi ceux-là on trouve ceux qui étaient plus ou moins contre la mondialisation. Si l’on se cantonne à la France, il s’agit des milieux patriotiques ou nationalistes, voire identitaires. Ainsi, certains voient dans les décisions de l’oncle Sam, une chance pour la France de renouer avec un passé brillant, pensant que c’est le système imposé par Washington dans la période de 1974 à nos jours, selon les canons décrits par feu Maurice Allais, prix Nobel d’économie, qui nous a cornérisés.

Disons-le net, nous sommes d’accord avec Allais, mais le problème fondamental est que le mal est fait et que s’il a mis 50 ans à nous ronger, il en faudra à peu près autant pour redresser la barre et cela ne pourra se faire que dans la douleur et les larmes. Mais avant de donner plus de détails, essayons de déterminer ce qui se joue et comment cela va se conclure à court terme.

De notre point de vue, en démarrant un bras de fer avec la Chine, Donald Trump commet une erreur majeure. En général, quand on entre en duel, tout au moins dans le passé, l’offensé choisissait ses armes et le déroulé était équilibré, en tout cas en termes de moyens. Là, ce n’est pas du tout la même chose ! D’un côté, nous avons la Chine, première puissance industrielle du monde, qui va donc se battre de manière asymétrique contre les États-Unis, première puissance financière. Rien que présenté comme cela à une classe, disons, de terminale, sur qui croyez-vous que les élèves parieraient ?

Soyons plus précis. L’Américain moyen utilise des iPhone qui sont fabriqués en Chine. Si les droits de douane montent à 150 %, qui va pouvoir se les payer ? Rappelons que les États-Unis sont un pays « électronisé », c’est-à-dire qu’il fait grande consommation de circuits intégrés. Ces derniers nécessitent des terres rares, dont la Chine produit 60 % du volume mondial, et en raffine 90 %. Imaginons un instant que l’empire du Milieu se dote des mêmes lois de contrôle que Washington pour ses exportations, ne pénalisant pas ses vassaux, mais ses contradicteurs, un peu comme l’ITAR. Très vite, l’Occident sera exsangue. Et Washington capitulera en moins de 6 mois.

Passons maintenant aux déficits commerciaux entre les deux géants qui sont au détriment des États-Unis avec une balance négative de l’ordre de 400 milliards de dollars par an. Si Pékin, du jour au lendemain, décide de ne plus livrer, qu’y aura-t-il sur les étals des magasins américains ?

On nous dit que Trump veut réindustrialiser son pays. C’est louable et il a bien du travail. Mais cela ne peut pas se faire rapidement. Et nous allons à présent voir pourquoi. Annonçons d’ores et déjà que c’est valable pour tout l’Occident, la France en particulier, qui a atteint des niveaux de nullité effarants.

Commençons par un constat. TSMC, leader taïwanais des semi-conducteurs, a déplacé une usine de fabrication aux USA pour se mettre à l’abri en cas de tensions trop importantes avec le continent. C’est une catastrophe, car les Américains, en Arizona, ne sont pas assez qualifiés pour faire le travail et la production n’est donc pas au rendez-vous. Il s’agit pourtant d’un simple transfert de technologie. Prenons un autre exemple, celui de LVMH qui s’est installé au Texas. Là encore, même problème : manque de main-d’œuvre capable et, par conséquent, entreprise non compétitive, alors que nous sommes toujours face à une délocalisation.

Soyons un peu acerbes en disant cela : quand on a une population nourrie à TikTok qui est habituée à zapper toutes les 30 secondes, comment peut-elle  se concentrer ne serait-ce que sur la couture d’un sac qui requiert bien plus de temps ? Outre la boutade, le système, qui a voulu former des crétins, car plus facilement gouvernables, a réussi au-delà de tous espoirs ! Les niveaux intellectuels moyens sont indigents, les connaissances ne sont même pas lacunaires, mais quasi nulles, seuls persistent les mantras wokes, qui ne sont rien que de la propagande d’État et un détournement des procédés éducatifs au profit d’un lavage de cerveau des populations par une caste dirigeante mentalement dérangée. Mais le constat est encore pis que cela ! Les enseignants, si on voulait redresser la barre, n’ont, en très grande majorité, pas les compétences pour transmettre le niveau requis, y compris en primaire.

Arrêtons-nous un instant sur un exemple qui va en interloquer plus d’un. Je reprends ici la première question d’un problème de mathématiques de certificat d’études de 1927, sans y ajouter ni en soustraire un mot. Sachant que Paris et Alger sont sur un même méridien, que Paris se trouve à 49,5° de latitude nord alors qu’Alger est à 36°, quelle est la distance entre ces deux villes. Je propose aux lecteurs de ce texte de poser cette question et de la noter à des élèves de terminale maths expertes. Je suis preneur d’une statistique. J’insiste sur la nécessité de ne donner aucune indication supplémentaire pendant l’épreuve. Je serais aussi curieux de savoir combien de « professeurs des écoles » seraient capables de résoudre cela.

Nous voilà donc devant la réalité, ou, peut-être, même, la vérité sortie du puits. À force de penser que nous étions les meilleurs et d’avoir fait n’importe quoi, nous sommes en fait dans une situation dramatique de pays sous-développés. C’est valable dans tout l’Occident ! Comment, dès lors, réindustrialiser quand, en Chine, on arrive à traiter ce type de problème très facilement et massivement ? Car pour faire de l’industrie, il faut des compétences, en maths, en physique, en Chimie, en biologie, etc., bref, en sciences ! On ne fait pas une production avec de beaux discours. Les États-Unis ont pensé se réfugier derrière le droit en imposant le leur, mais cela, in fine, ne servira à rien. Le progrès finira par se gausser de cette construction sociétale qui a réussi à phagocyter les esprits les plus brillants en les empêchant d’exprimer leur talent.

Peut-être vaut-il la peine de raconter ici l’histoire d’un ingénieur d’Airbus en 2014 qui, écologie oblige, avait imaginé mettre à bord des avions un système identique à celui des sous-marins nucléaires pour l’assainissement de l’air à bord, sachant qu’un vol ne dure que 12 heures au maximum alors que les plongées de nos militaires peuvent être de plusieurs mois. Il avait fait valoir que le circuit d’aération pour un aéroplane est quelque peu dispendieux en énergie. L’air extérieur est à -40 °C, on le récupère derrière le compresseur à 300 °C, on le refroidit à ce moment-là à 0 °C pour l’injecter dans la cabine où se situent les passagers. Vous pouvez constater que ce n’est pas anodin. Mais il se vit refuser sa proposition, car la réglementation impose que l’air respiré soit prélevé à l’extérieur pendant le vol. Il évoqua bien la possibilité de faire changer une règle obsolète, mais rien n’y fit et la consommation d’énergie attendra des jours meilleurs.

D’une manière générale, nous croulons sous les mesures diverses et variées qui constituent autant de fromages pour certains. Vous devez avoir une licence pour faire ceci, vous devez suivre telle norme pour faire cela, etc. Bref ! Un flic à chaque coin de rue, y compris si ces dispositions sont délétères. Et plus le temps passe, plus le système se grippe, devenant hanté d’obligations parfois contradictoires et qui ralentissent tout quand elles n’arrêtent pas les initiatives.

La question de la réindustrialisation des États-Unis ne sera donc sûrement pas réglée par la mise en place de droits de douane exorbitants. Cela est bien trop simpliste. Bien entendu, ce peut être une arme, ou une stratégie, mais ce ne peut être qu’un outil d’une panoplie nécessaire bien plus cruciale et surtout subtile.

Comme susurré plus haut, le redressement manufacturier est de première importance : la qualité des enseignants, les programmes scolaires, le niveau d’exigence, le sérieux de l’encadrement des élèves et l’arrêt de la distribution de diplômes de complaisance. Cela prend au moins 25 ans et débouche seulement sur une promotion de jeunes qui sont prêts à aller travailler dans l’industrie. Il leur faudra encore 5 à 10 ans pour devenir performants à condition toutefois qu’on leur laisse l’opportunité d’exercer leurs talents. Or, tournez votre regard vers Boeing, par exemple, mais c’est général, votre priorité une fois en poste est la rentabilité financière et non le travail bien fait. Et en outre n’aborde-t-on pas la question de la prise de risque pour faire mieux et nouveau, avec un petit espoir aux USA, mais aucun en France. Quand je vous disais plus haut qu’il faudrait 50 ans pour redresser la barre, vous avez une partie du programme.

Regardons par ailleurs du côté de l’armement. Le conflit ukrainien a montré que l’Occident a un profond retard avec les missiles hypersoniques russes. Les Chinois en ont, semble-t-il, quoique moins performants. Et peut-être même est-ce le cas des Coréens du nord et des Iraniens. Quelle « indignité® » pour l’Ouest, qui se croit encore dominant et se paie le luxe de dire en public que, depuis l’annonce des droits de douane, il y a 70 pays qui sont venus quémander, pardon, « lécher le cul » de l’oncle Sam pour être épargnés. Mais si c’est la Chine qui arrête ses flux de livraison, alors vous verrez une véritable panique, car ce ne seront pas quelques corrompus mis en place par Washington qui iront s’aplatir, mais des peuples entiers qui entreront en révolution.

Ceux qui fréquentent les salons dorés ont perdu tout lien avec ce qui est matériel : le travail que cela a nécessité, l’intelligence, le temps et le soin qu’il a fallu pour la production, la patience bien souvent et la persévérance. Ils ne gagnent pas, depuis parfois plusieurs générations, leur pain à la sueur de leur front. Ils jouent avec la vie des autres, n’en tenant aucun compte. Ils sont susceptibles de déclencher des guerres perdues d’avance jusqu’au dernier Ukrainien sans que cela ne les empêche le moins du monde de dormir. Ils sont capables de déporter des millions de Palestiniens qui puent trop pour pouvoir peupler des lieux dont on fera, paraît-il, une riviera ; et encore ceux-là auront-ils eu la chance de ne pas avoir été génocidés auparavant.

L’Amérique veut se réindustrialiser ? Pas de problème ! Elle va déverser des milliards de dollars et faire des choses extraordinaires ! Elle trouvera tout ! Après avoir épuisé l’histoire, comme le disait Fukuyama, elle achèvera la science, il ne restera plus rien à découvrir ! Le dollar aura permis cela. À se demander comment nos ancêtres,  à l’époque du Christ, on préféré la parole divine de fraternité et d’amour entre les hommes. Pensez donc ! S’il avaient inventé le dollar, tous les problèmes auraient été réglés depuis longtemps !

Ce qui est écrit ici des États-Unis, hélas, se retrouve en Europe, en France. Quand on dit que les gouvernants sont déconnectés, c’est bien de cela qu’il s’agit. Ils espèrent résoudre les problèmes avec de l’argent. Mais la nature ne marche pas comme cela. Ils ont perdu le contact avec la réalité, car, encore une fois, ils n’ont jamais gagné leur pain à la sueur de leur front et ils n’ont aucun respect pour ceux qui, eux, le font.

Alors, la guerre commerciale entre Pékin et Washington ? C’est exactement la guerre entre les connectés et les déconnectés de la nature, entre ceux qui rentrent chez eux, le soir, après avoir produit et ceux qui ont fait des coups en bourses et ont touché des commissions sur du travail auquel ils n’ont aucunement participé. Et ce sont les derniers qui veulent mettre au pas les premiers ? Laissez-nous sourire ici. L’histoire, celle de notre planète, qui a 4 milliards d’années, ne fait que bégayer. Nous connaissons le résultat d’avance.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.