Comment va se terminer la guerre en Ukraine ?

Comme le souligne justement Jean-françois Geneste, la guerre, qui se déroule en partie sur le front ukrainien contre la Russie, n’est pas gagnée. Elle n’est pas même terminée. Pour la simple et bonne raison qu’à la différence de la Seconde Guerre mondiale personne n’a la moindre idée de la manière, dont cette guerre prendra véritablement fin, au-delà des diverses déclarations médiatiques, dont nous sommes abreuvés. Quid ici des Etats? Quelle stratégie pour l’OTAN et l’UE? Comment se comportera le joker chinois ? Il n’y a à ce jour qu’une seule certitude : celle que le monde que nous connaissions, ce monde habituel et confortable, a basculé. Quelques réflexions pour Russie Politics.

N’en déplaise à ceux qui ont écrit, il y a bien longtemps maintenant, que la Russie avait gagné la guerre, cette dernière n’est toujours pas terminée, même s’il avait été affirmé, ce que disait, dès le départ, le colonel Douglas Macgregor[i] : la Russie ne peut pas perdre, comme les États-Unis ne le pourraient pas avec le Mexique.

Depuis, Trump a été réélu et prône, soi-disant, la paix. Néanmoins, Lavrov a récemment encore refusé un cessez-le-feu[ii] qui garantirait un gel des combats et une non-entrée de l’Ukraine dans l’OTAN pendant 20 ans. Qui peut faire confiance à l’Occident en effet après les déclarations de Hollande et Merkle[iii] quant aux accords de Minsk I et II et au passé américain, voire anglo-saxon, qui n’est fait que de paroles données et reniées traîtreusement ? Par ailleurs, et la Russie est tout à fait légitime dans cette revendication, la quasi-totalité de l’Ukraine est une terre historique russe qui n’a pas vocation à entrer dans l’OTAN.

Rappelons, pour les oublieux, le texte suivant.

Il est intéressant de savoir comment, il y a exactement 100 ans, en janvier 1925, le secrétaire du Comité central du Parti communiste d’Ukraine (bolcheviks), Vladimir Zatonski, s’exprimant lors du 1er Congrès panukrainien des enseignants, a rappelé l’attitude des résidents locaux à l’égard de l’idée même d’Ukraine en 1918 :

Les larges masses ukrainiennes traitaient l’Ukraine avec dégoût… Non seulement les ouvriers, mais aussi les paysans, les paysans ukrainiens ne toléraient alors pas les Ukrainiens… Les paysans nous ont écrit : nous nous sentons tous comme des Russes et détestons les Allemands et les Ukrainiens et demandons à la RSFSR de nous annexer à elle.

Tenons bien compte de cela pour ce qui suit ! En effet, la stratégie militaire russe a été celle d’une guerre d’attrition[i], cela a été dit dès le départ. Sans doute y avait-il initialement une certaine candeur, probablement via des illusions d’avoir affaire à des gens raisonnables, ce qui s’est révélé être une erreur. Il a donc fallu renforcer cette stratégie, initialement relativement douce[ii]. Nous en voyons d’ailleurs une accélération en ce début de 2025.

Que peut-on donc prédire d’à peu près sûr ? Nous savons aujourd’hui que l’attrition concerne non seulement l’Ukraine, mais aussi l’OTAN et son complexe militaro-industriel. Ce dernier doit et va se reconfigurer pour produire bien davantage, mais cela va demander du temps, bien trop de temps à l’échelle du conflit en cours ! Nous allons donc assister à un effondrement de l’Ukraine. Cela pourrait se produire durant l’hiver 2025.

Ce qui est important c’est que c’est l’État qui va s’écrouler. Cela va avoir des implications que nous n’avons encore vues nulle part écrites et qu’il est temps, à notre avis, de tenter de deviner. Remarquons tout d’abord qu’il y a une résistance en faveur de la Russie et que cette dernière, à l’instar de celle qui fut Française en d’autres temps, est active et même efficace sous certains aspects, notamment en termes de renseignement, comme nous pouvons le constater sur le nombre et la précision des ciblages russes.

Dès lors que le régime de Kiev sera tombé, il y aura nécessairement des révolutions locales qui vont réclamer leur rattachement à « la mère patrie ». Il ne fait aucun doute que ce sera le cas de Nikolaïev et Odessa si ces villes n’ont pas été prises d’ici là.

Ne préjugeons pas du reste, cela suffit, puisque de tels changements, de fait, priveraient feu l’Ukraine d’un accès à la mer et donc la contraindraient à rester définitivement une zone secondaire, non réellement viable économiquement, déclenchant, en avalanche, d’autres ralliements. Il ne devrait donc rester à terme qu’un confetti d’Ukraine qui comporterait seulement les « vrais » Ukrainiens si tant est qu’ils existent, donc une toute petite partie connexe de la Pologne.

Moscou aura intérêt à garder cette entité comme indépendante en n’oubliant pas de lui laisser l’héritage de la dette Zelinsky-Porotchenko, qui devra bien être absorbée, d’une façon ou d’une autre, par l’Occident.

En punition pour l’UE, la Russie pourrait couper les fournitures de gaz qui arrivent en Pologne pour ne garder que celles qui arrivent par la Slovaquie et la Hongrie. Gageons que Bruxelles et ses séides baisseront le ton pour un bon moment. Remarquons aussi que le mal est fait concernant l’industrie européenne et donc que les besoins post conflit seront nettement moindres qu’avant, notamment en Allemagne.

Nous citerons, pour mémoire seulement, la dédollarisation qui est en cours et inéluctable. Quelles que soient les mesures prises par Trump, cela ne changera rien. Et la ruine volontaire de l’Europe par les États-Unis finira, à assez brève échéance, par se retourner contre eux qui se verront leur puissance très nettement affaiblie[1].

La reconstruction de l’Ukraine profitera en premier lieu à la Russie, mais aussi à la Chine, qui va goûter à ce type d’activité pour la première fois de sa longue histoire. Cela devrait permettre le rééquilibrage de sa balance commerciale déficitaire avec la Russie. Et ce sera, bien entendu, un extraordinaire manque à gagner pour l’Occident. Si nous y ajoutons la récupération souhaitable des terres agricoles sur lesquelles certains groupes américains ont mis la main, en représailles, par exemple, du vol des avoirs russes, nous atteignons un résultat tout à fait significatif de ce qu’est une réelle défaite.

Nous ne saurions non plus passer sous silence l’impact géopolitique extraordinaire que cela aura. D’une part l’Occident, les États-Unis en particulier, aura montré son incapacité à faire perdurer la doctrine anglo-saxonne du « diviser pour régner ». Cela devrait saper bien des tentatives diverses et variées de par le monde, lequel pourrait alors devenir bien plus stable. Espérons-le ! Mais il y aura aussi d’autres changements qui sont déjà à l’œuvre, même si personne n’en a encore pris conscience.

L’armement russe a démontré sa supériorité sur tous les sujets dans ce conflit. Il est le fruit de la science au minimum soviétique. Ce devrait être une occasion pour la Russie de remettre en selle cette façon d’enseigner qui l’a placée au plus haut sommet mondial. C’est aussi un signal fort pour tous les pays du monde d’abandonner le système éducatif de type américain qui a torpillé l’Europe, la France en particulier, ces dernières décennies. Les étudiants étrangers devraient en primauté faire leur cursus dans les universités russes s’ils vont à l’étranger. La langue de ce pays devrait donc faire partie des priorités en matière d’apprentissage dans les collèges et lycées. Ce sera un bien, car elle demande un niveau en grammaire bien supérieur à l’Anglais et est donc nettement plus formatrice des esprits. Enfin, on se prendra à rêver que le système des publications scientifiques, qui fait l’objet d’un quasi-monopole occidental aujourd’hui, voie, au minimum sinon plus, se développer une branche alternative, non basée sur le profit. Les groupes de pairs qui l’animent et sont d’un conservatisme forcené que nous n’hésiterons pas ici à critiquer, ni même à condamner, devront céder la place à un système nettement plus ouvert et avec des visées seulement scientifiques et non d’hégémonie.

En conclusion logique et rapide, le monde a basculé et ce n’est que le début !

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.


[1] Très rapidement, le supplétif ne pourra plus suppléer.


[i] https://www.gcsp.ch/global-insights/avec-cette-guerre-dattrition-le-temps-joue-en-faveur-des-ukrainiens

[ii] https://www.rollingstone.fr/sur-fox-news-un-expert-estime-que-la-russie-a-ete-trop-gentille/


[i] https://www.dailymotion.com/video/x96grxs

[ii] https://mid.ru/fr/foreign_policy/news/1989213/

[iii] https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-moscou-apres-l-interview-de-merkel-la-russie-denonce-la-tromperie-des-europeens-lors-des-accords-de-minsk