Immigration et Emigration

Lors de la réunion de décembre 2024 du Club français «Tourgueniev» à Moscou, qui s’est tenue sur le thème «Les migrations : que reste-t-il du citoyen ?» , Jean-François Geneste est intervenu dans la discussion, soulevant les implications des processus migratoires en Occident sur la société. Voici une présentation de sa réflexion pour le site Russie Politics.
J’ai passé, en décembre 2024, une quinzaine de jours en Russie et ai été invité par le Club français « Tourgeniev » et Karine Béchet-Golovko à une table ronde sur le sujet de l’immigration. Bien entendu, la préoccupation de l’assistance était avant tout locale, mais cela a été, pour moi, une occasion à la réflexion. En voici une partie.
En Union européenne, les arrivées légales sont de l’ordre de 4 millions de personnes par an, soit l’équivalent d’une France tous les 15 à 17 ans. Les sans-papiers, qui concentrent l’essentiel des frictions politiques, représentent, environ 10 %.
Ces chiffres étant donnés, une question immédiate vient à l’esprit : l’Europe n’y perd-elle pas son âme ? En effet, quelle est la capacité d’un immigrant à devenir Européen en général et Français en particulier ? Il faudrait pour cela à la fois un embryon de culture initiale commune, mais aussi une réelle volonté de changer de racines. Cela est, objectivement, très loin d’être garanti.
Cela ne serait pas si important si la descendance de ces personnes devenait nationale et de culture locale. Néanmoins, nous devons constater qu’il n’en est pas tout à fait ainsi, et cela pour plusieurs raisons. La première est celle d’un environnement familial réticent, mais également un habitat avec de fortes concentrations immigrées, ce qui ne facilite pas la tâche. Cela pourrait rester possible si l’école faisait son œuvre civilisatrice, mais, là encore, tel n’est pas le cas ! Elle n’en a pas la volonté, et le système interdit même aux enseignants de le faire. Le résultat est catastrophique où les Français de souche ne vivent plus dans leur propre pays dans certaines zones qui sont de plus en plus nombreuses et s’étendent exponentiellement.
Il ne s’agit pas ici de jeter la pierre aux immigrés, mais aux gouvernants depuis des décennies qui ont de plein gré voulu détruire la culture française et qui y ont en grande partie réussi. Notre président actuel, marié à une enseignante, n’a-t-il pas déclaré que la culture française n’existait pas ? Sans doute a-t-il appris cela de la bouche même de ses professeurs !
Mais il faut dénoncer bien d’autres maux de notre société qui conduisent à une telle situation. Il n’y a de richesse que d’hommes, dit le proverbe. Et notre communauté fabrique des êtres quasiment stériles qui n’atteignent pas, et de loin, le seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme. Cela témoigne d’une nation fortement malade qui n’assure plus son avenir. Je parle de l’humanité en général, car très peu de pays dans le monde préservent leur futur et ceux qui sont considérés « développés » sont tous en catastrophe démographique.
Récemment, la chaîne de télévision CNews a eu une amende, car elle avait diffusé une émission dans laquelle on expliquait que la première cause de mortalité sur la planète était l’avortement. Pour ceux qui estiment que l’embryon est une personne, c’est un fait. D’ailleurs, la France a constitutionnalisé le droit à l’avortement par conservatisme suicidaire manifestement. On préfère y importer des « biens » bon marché plutôt que de se reproduire et essayer de perpétuer la civilisation de nos ancêtres.
Et revenons un instant sur ce point particulier en énonçant une nouvelle fois cet adage qui dit que ce qui est rare est cher. On importe donc une population à bon compte, prolétarisée à mort pour assouvir les désirs de service d’une caste qui a perdu toute référence à la décence. Et cela a permis, dès les années 70, de mettre en concurrence les plus faibles de notre société avec les plus miséreux de communautés étrangères tout en engraissant une bourgeoisie fate, dédaigneuse et, dernièrement, corrompue.
Le monde peut alors miser, pour un temps court, sur quelques zones de reproduction humaine intense qui vont peut-être migrer, à moins que les pays de naissance n’arrivent à se développer et offrir à leurs habitants des débouchés suffisants pour qu’ils restent dans leur nation d’origine. Le rôle constructif de la Chine en ce domaine, qui vise aux réalisations externes pour s’assurer un approvisionnement en ressources naturelles, étant elle-même l’atelier du globe, est éloquent et pourrait, sur le moyen terme, se révéler extrêmement efficace.
Dans les autres États, il se dessine une stratégie qui, d’une certaine façon, a été inaugurée au Japon. En effet, il a souhaité, contrairement à la France, au lieu de parquer ses vieux dans des maisons de retraite, qu’ils soient les plus autonomes possibles grâce à la robotique. La mode actuelle est à l’intelligence artificielle (IA) et l’on voit poindre une tactique où les emplois « bas de gamme » seront tenus par des machines dopées à l’IA dans quasiment tous les pays en régression démographique.
Néanmoins, une telle stratégie conduit à un cul-de-sac comme nous allons le découvrir maintenant. En effet, cela résout le problème des tâches subalternes, mais ne permet pas de traiter la question de fond, qui est celle du déclin de la population et, dans le même temps du dépérissement de l’intellect global qui, en moyenne, vivra un glissement vers le conformisme (à cause du vieillissement et au mieux). Car l’immigration, si elle est mal ressentie dans beaucoup de cas, produit en général bien plus d’enfants que les autochtones, au moins sur la première génération et c’est cette jeunesse, qui, si elle est bien formée et assimilée, redonnera ou fera perdurer la civilisation accueillante.
Nous en revenons donc irrémédiablement à l’exigence de transformer des jeunes d’origine étrangère nés sur notre sol en citoyens nationaux et de culture domestique. Cela implique en réalité une volonté, une force et même une violence que notre société refuse. Remarquons pourtant ce qui est survenu dans notre passé récent.
L’uniformisation de la langue pour amener le patois à disparaître s’est faite au prix de sévères réprimandes dans les écoles des campagnes françaises où les élèves étaient véritablement martyrisés quand ils parlaient leur idiome maternel, y compris dans la cour de récréation. Sans en arriver à de telles extrémités, il faudrait avant tout remettre dans le système scolaire une discipline de fer qui imposerait aux élèves d’opérer des efforts pour justement devenir d’obédience française. Cela passe par le verbe, par la lecture, l’écriture, un bagage culturel important et aussi par les valeurs qui, qu’on le veuille ou non, sont chrétiennes (pour la France). Les laïcards auront été une plaie extraordinaire contre notre civilisation. Nous avons aujourd’hui assez de recul pour pouvoir le clamer et le prouver.
Mais revenons à notre sujet essentiel. Au-delà de perdre ses fondements via une immigration incontrôlée, ce qualificatif ne concernant pas la quantité, chacun l’aura compris, mais l’absence de contrôle de conversion à la nationalité, dans un contexte de dépeuplement et de sous-reproduction, nous ne pouvons qu’être pessimistes quant à l’avenir. Encore une fois, il n’y a de richesses que d’hommes et, si l’on sort d’une vision strictement malthusienne du monde, et donc d’un environnement qui change avec une population qui, non seulement s’y adapte, mais lui inflige de profondes modifications, nous avons besoin de toujours plus d’individus pour inventer demain. Allant dans le sens contraire, nous sommes par conséquent en plein suicide collectif.
Nous terminerons dès lors ce texte par les constats que nous venons juste de faire. Relancer la natalité et imposer aux immigrants une assimilation totale dans le temps intermédiaire que durera la mise en place du « croissez et multipliez » locale. Rappelons, dans cette conclusion, que l’IA qui remplacerait l’apport exogène n’est qu’un pis-aller qu’il faut à tout prix éviter.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.